Le contexte historique : la guerre civile (1991-2002)
La guerre civile éclate en Sierra Leone en 1991 lorsque les rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF) s'emparent de certaines villes à la frontière avec le Liberia. Pendant 11 ans, le conflit armé fera des dizaines de milliers de morts et encore plus de blessés et de déplacés. Le RUF, ses alliés et ses adversaires se livrent à des crimes effroyables. La liste est énumérée dans un rapport de la Commission Vérité et Réconciliation de la Sierra Leone : amputations, enlèvements de femmes et d'enfants, recrutement d'enfants comme combattants, viols, esclavage sexuel, cannibalisme, meurtres gratuits et destruction hors de tout contrôle de villages et de villes.
Le RUF est soutenu militairement par le président du Liberia de l'époque, Charles Taylor, qui convoite les diamants sierra léonais.
Une année après le lancement de l'offensive du RUF, le président sierra léonais Joseph Momoh est renversé par un coup d'Etat dirigé par le capitaine Valentine Strasser. Sous la pression internationale, la capitaine putchiste annonce des élections multipartites. Alors que la guerre se poursuit, Strasser lui-même est chassé du pouvoir en janvier 1996 par le brigadier Julius Maada Bio. Le mois suivant, Ahmed Tejan Kabbah est élu président et conclut en novembre, à Abidjan, en Côte d'Ivoire, un accord de paix avec les rebelles. Mais, cet accord s'effondre l'année suivante et Kabbah est renversé par une junte militaire (the Armed Forces Revolutionary Council, AFRC) menée par le major Johny Paul Koroma, aussitôt rejoint par le RUF.
L'ONU impose des sanctions à la Sierra Leone et, début 1998, une force d'intervention ouest -africaine menée par le Nigeria (Ecomog - Economic Community of West African States Ceasefire Monitoring Group) s'empare de la capitale Freetown et expulse la junte militaire. Kabbah retourne à Freetown, sous les acclamations d'une foule en liesse.
Mais, en janvier 1999, le RUF s'empare de certains quartiers de Freetown. Après des semaines de combat, les hommes du RUF sont chassés de la capitale, laissant derrière eux 5000 morts et une cité en ruines.
La communauté internationale intervient pour imposer des négociations entre le RUF et le gouvernement et, en juillet 1999, les accords de Lomé sont signés. Aux termes de ces accords, le RUF obtient des postes au gouvernement et reçoit des assurances que ses chefs ne seront pas poursuivis.
Les troupes de maintien de la paix de l'ONU commencent à arriver pour mettre en œuvre l'accord de paix mais en mai 2000, les rebelles avancent de nouveau sur Freetown. La Grande Bretagne envoie 800 parachutistes pour évacuer ses ressortissants et aider à sécuriser l'aéroport de Freetown. Le chef des rebelles Foday Sankoh est capturé.
Mais le RUF assiège deux compagnies de Casques Bleus pendant 75 jours, et en août 11 militaires britanniques sont pris en otage par une milice dénommée « West Side Boys ». Ils seront finalement libérés dans des opérations militaires. La guerre se termine enfin en 2002 grâce à un robuste déploiement de forces internationales, dont des troupes d'élite britanniques.
Les mécanismes de justice transitionnelle
1. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL)
Tribunal hybride, le TSSL a été créé en 2002 sur la base d'un accord entre les Nations unies et le gouvernement de la Sierra Leone. Son mandat : juger les crimes commis contre les civils ainsi que ceux commis contre les troupes de maintien de la paix durant la guerre civile.
Il s'agit de juger les suspects « portant la plus grande responsabilité » pour les crimes commis après le 30 novembre 1996, la date de l'accord d'Abidjan qui n'avait pas été respecté.
Le TSSL est compétent pour les crimes contre l'humanité (meurtre, emprisonnement, torture, viol,…) et autres violations graves du droit humanitaire international.
Le mandat prévoit aussi la possibilité d'ouvrir des poursuites selon la loi nationale pour certains crimes comme les abus sexuels contre les jeunes filles, la conscription d'enfants dans l'armée et la destruction de biens.
Le Tribunal ouvre son premier procès en 2004. Vont alors défiler devant lui des responsables et commandants du RUF, de l'AFRC, des Forces de Défense Civiles (CDF, pro-gouvernement Kabbah) ainsi que l'ancien président libérien Charles Taylor, dont le procès se déroulera à La Haye pour des raisons de sécurité. Il sera condamné à 50 ans de prison en 2013 pour « avoir aidé et encouragé » les crimes commis par le RU.
Si le Tribunal a pu juger dix personnes –dont Taylor-, il faut déplorer que l'un des principaux suspects, le leader du RUF Foday Sankoy, soit mort en détention en juillet 2003, avant son procès. Quant au commandant du RUF, Sam Bockarie, il aurait été tué au Liberia.
Un troisième suspect de premier plan, le président de l'AFRC Johny Paul Koroma s'est enfui de la Sierra Leone avant d'être inculpé et est réputé mort, bien que cela ne soit pas confirmé. Une autre personne, le leader des CDF Samuel Hinga Norman est mort avant son jugement et les poursuites à son encontre ont été éteintes.
Sur les dix personnes jugées, neuf personnes ont été condamnées à des peines allant de 15 à 52 ans d'emprisonnement.
Les 8 condamnés du RUF, CDF et AFRC accomplissent leur peine au Rwanda tandis que Charles Taylor, qui a été jugé à la Haye pour des raisons de sécurité, effectue sa peine de 50 ans de prison au Royaume-Uni.
2. La Commission Vérité et Réconciliation
La Commission Vérité et Réconciliation de Sierra Leone était prévue par les accords de Lomé entre le gouvernement et le RUF mais n'est devenue opérationnelle qu'en 2002. Son mandat était de « créer un recensement historique impartial des violations des droits humains et du droit international liées au conflit en Sierra Leone depuis ses débuts en 1991 jusqu'à la signature des accords de Lomé ; traiter de la question de l'impunité ; répondre aux besoins des victimes, promouvoir la réconciliation et prévenir une répétition des violences et abus soufferts ».
La TRC (Truth and Reconciliation Commission) était composée de 7 membres - quatre Sierra Léonais et 3 étrangers. Elle a recueilli 7706 témoignages, tenu des auditions publiques et soumis un rapport complet au gouvernement de la Sierra Leone en octobre 2004. Le rapport recommandait des réparations pour les victimes, la réforme des services judiciaires et de l'appareil de sécurité, des mesures pour promouvoir les droits de l'homme, la bonne gouvernance, la liberté d'expression. Néanmoins, les gouvernements successifs ont été lents à mettre en œuvre ses recommandations.