Selon Anwar Raslan, ses interactions avec les prisonniers syriens se sont limitées à partager un café, discuter de la diversité de la culture arabe et faciliter leur libération. Le 18 mai, l'avocat de l'ancien officier de renseignement a lu son témoignage devant la Haute cour régionale de Coblence. Cela a pris près de deux heures, soit le double de la lecture de l'acte d'accusation qui le charge de 4000 cas de torture, 58 meurtres et deux cas de viol ou d'agression sexuelle, qui auraient été commis en Syrie entre avril 2011 et septembre 2012. La déposition de Raslan raconte une toute autre histoire, où la plupart des crimes n'ont pas eu lieu ou ne sont pas de sa responsabilité.
Cinq jours de procès se sont écoulés depuis le début du premier procès au monde portant sur la torture d'État en Syrie. Dans la ville allemande de Coblence, Anouar Raslan et Eyad al-Gharib sont accusés de crimes contre l'humanité ; le premier pour les avoir commis en tant qu'officier responsable de la division 251 des services secrets généraux à Damas, le second pour les avoir aidés et encouragés, en arrêtant des manifestants et en les emmenant au centre de détention souvent appelé "Al-Khatib". Depuis le premier jour du procès, Raslan observe calmement et silencieusement. Il n'a jamais caché son visage aux caméras, n'a jamais bronché lorsque de très pénibles détails sur la torture étaient évoqués. Sa déclaration a renforcé l'image d'un homme confiant en lui et qui n'est pas porté aux regrets ou à endosser la moindre responsabilité.
Un viol ? "Je ne peux imaginer que cela se soit produit à la division 251"
A travers sa déposition, Raslan ne se montre pas du genre à se mettre en retrait. En 1992, il demande à suivre une formation de police auprès du ministère de l'Intérieur. "Je suis devenu lieutenant et je suis arrivé second de ma promotion", raconte-t-il. Figurant parmi les trois meilleurs diplômés, il est orienté vers la direction de la sécurité de l'État et commence sa carrière à la division 251, à l'âge de 32 ans. Après avoir gravi quelques échelons supplémentaires, il devient finalement chef des enquêtes de cette section, en 2008. "Jusqu'en 2011, je me suis identifié au système juridique et politique syrien", déclare-t-il. Il ne fait aucune mention des graves violations des droits de l'homme commises par l'ancien président syrien Hafez al-Assad dans les années 80 et 90, et par son fils Bachar depuis le début des années 2000.
"Les plafonds de nos cellules sont trop hauts pour y suspendre les prisonniers", explique Raslan, faisant référence à la méthode de torture "Shabah" ("fantôme"), où les prisonniers sont suspendus par les poignets, pouvant juste toucher le sol sur la pointe des pieds, pendant des heures ou des jours. Cette méthode a été mentionnée par les prisonniers en Syrie depuis les années 80. "Je peux difficilement imaginer que quelqu'un soit battu dans cette position", déclare l'ancien officier ayant plus de 25 ans d'expérience dans les services secrets syriens. Concernant les décès de détenus, il affirme qu'une seule personne est morte à la division 251 en 2011, ajoutant qu'il n'y avait pas assez de place pour des cadavres à la prison d'Al-Khatib, contredisant ainsi son co-accusé qui a dit avoir vu, une fois, dix cadavres être emportés hors de la prison. A propos de l’accusation de viol par l’un des plaignants, Raslan assure "cela est contraire à nos valeurs, notre religion et notre morale. Je ne peux imaginer que cela se soit produit dans la division 251". D'autres détails fournis par les témoins, tels que la numérotation des cellules, l'existence de chaînes métalliques, ou la taille de son bureau sont également faux, déclare l’accusé.
La faute aux supérieurs
Dans sa déclaration, l’accusé prend le temps de nier la déposition de chaque témoin retenu contre lui dans l'acte d'accusation. Il n'a tout simplement jamais entendu parler de certains d'entre eux. Pour d'autres, il ne les a rencontrés que pour une conversation paisible et cordiale dans son bureau - il a même été surpris que l'une d'entre elles ne le remercie pas plus tard. La plupart des prisonniers, affirme-t-il, n'ont pas été arrêtés sous son autorité. Comment cela est-il possible s'il était chef des enquêtes à l'époque des crimes présumés ? Raslan répond en disant qu'il a personnellement facilité la libération de beaucoup de prisonniers, qu'il était un musulman sunnite, et qu’il avait attiré les soupçons de son patron Tawfik Younis et de la tristement célèbre Subdivision 40, une unité contrôlée par le cousin du président alaouite Bachar al-Assad, Hafez Makhlouf. "[Makhlouf] était au-dessus de la loi et son unité agissait de manière autonome", explique Raslan. "Ils rendaient compte directement à Mohammed Dib Zeitoun, le chef de la Direction générale de la sécurité syrienne."
Après avoir perdu, selon lui, l’essentiel de son autorité, Raslan raconte s’être contenté de rédiger des rapports et n’avoir procédé lui-même à aucun autre interrogatoire. Finalement, juste après le début du soulèvement en Syrie en 2011, il est dépouillé de toutes ses responsabilités au sein de la division 251, dit-il.
"Je n'ai jamais ordonné arbitrairement l'arrestation de quiconque. Je n'ai ni ordonné ni soutenu la torture", affirme Raslan vers la fin de sa déclaration. "Je suis devenu un réfugié parce que je n'ai pas accepté ce qui se passait en Syrie. Je n'ai pas commis les crimes dont je suis accusé." Il énumère ensuite des témoins potentiels ayant foi en sa loyauté envers le soulèvement syrien et qui pourraient témoigner en sa faveur. Leurs numéros sont enregistrés dans son téléphone portable : un journaliste qui a été arrêté et, grâce à Raslan, libéré ; un gendre qui l'a aidé à organiser sa désertion ; un ancien collègue qui sait qu'ils n'auraient rien pu faire pour arrêter les sbires de Makhlouf ; un membre de l'opposition avec lequel il a travaillé à Genève, et bien d'autres encore. Ce dernier rappelle que, après avoir fait défection, Raslan a rejoint l'opposition syrienne en Jordanie et s'est même rendu aux négociations de paix à Genève, en tant que membre de leur délégation. Régime ou opposition, Raslan est resté au premier rang. On ignore encore si le tribunal convoquera les 25 témoins qui pourraient témoigner en faveur de Raslan. "Ils sont tous membres de l'opposition et de la révolution", ajoute l’accusé. "Ils vivent en dehors de la Syrie et ne prendraient aucun risque en se portant garant pour moi."
Des représentants des victimes pas convaincus
En dehors de la salle d'audience, la déclaration de Raslan n'a pas convaincu ceux qui sont derrière les accusations portées contre lui. "Anwar Raslan essaie manifestement de minimiser son rôle en disant qu'il a obéi aux ordres et que la subdivision 40, dirigée par Hafez Makhlouf, a exercé le pouvoir de fait au centre de détention d'al-Khatib", déclare, dans un communiqué de presse après l'audience, Wolfgang Kaleck, secrétaire général du Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (CCHR), une ONG allemande qui a déclenché la procédure judiciaire contre Raslan et qui représente 17 plaignants. "C'est une pratique courante dans ce genre de procès. Mais elle n'est pas valable, surtout dans la mesure où il aurait émis, et non pas seulement reçu et suivi, des ordres dans sa section. Nous ne pensons pas qu'il ait joué un rôle mineur."
Que Raslan nie certains faits concernant les conditions de détention et les méthodes de torture semble presque idiot à l'avocate syrienne des droits de l'homme Joumana Seif. "Je connais des gens dont la vie a été détruite juste en voyant ce qui s'est passé dans les prisons syriennes, sans qu'ils soient eux-mêmes torturés. La parole de Raslan contredit celles de tant de témoins." Vu la quantité de détails que Raslan a mis dans sa déclaration, Seif dit s'attendre à un long procès.