Il est 8 heures du matin et l’engouement se fait remarquer au centre de l’agglomération villageoise de Nkongolo Moshi. Quelques jeunes par ici, des femmes par là, et des hommes qui palabrent. « Nous sommes venus assister au jugement de Nsumbu, nous sommes du groupement de Sha Tshiakumba », expliquent les jeunes originaires de cet ensemble de villages où Laurent Katende Nsumbu, chef coutumier, est accusé d’avoir commis des atrocités en février 2017.
Près de l’habitation en chantier des prêtres catholiques, où s’est tenu le procès de Nsumbu depuis le 10 mars, le silence n’est encore troublé que par quelques avocats qui discutent de l’actualité politique du pays. Au sein d’un autre groupe de jeunes, se trouve Kande Kabue, venu témoigner du meurtre de son père, le chef de Sha Tshikumba, tué selon lui par Nsumbu. « Je suis venu moi-même voir comment le tribunal va condamner Nsumbu », lâche-t-il, visiblement certain du verdict à venir.
Une peine de « servitude pénale à perpétuité »
A 11 heures, nous voici de retour sur le sol d’herbe rase et de sable de l’installation de fortune qui a servi de prétoire. Un groupe de dignitaires de Nkongolo Moshi est assis sur des chaises en bambou. Les juges s’installent sous la petite véranda de l’habitation des prêtres, prolongée de quelques bâches protégeant du soleil. Des villageois s’avancent et font cercle autour du tribunal. A midi pile, Nsumbu arrive à son tour, mais c’est un homme différent de celui du premier jour. Toujours entouré de sa garde d’agents de la sécurité, l’ex-chef milicien est visiblement affaibli et plus soucieux qu’il y a six jours.
Le major magistrat José Ndembalungu, président du tribunal militaire de garnison de Kananga, prend la parole pour faire la lecture de la décision de la cour. Le jugement s’étend sur 120 pages manuscrites, dont le président souhaite épargner à la population la longue lecture. « Je souhaite prendre les éléments importants, faute de temps », explique-t-il. « Au cours du procès, le prévenu a réfuté toutes les accusations mises à sa charge, soulevant comme argument, complot contre sa personne. Par ce motif, le tribunal a, après débat à huis clos, reconnu toutes les accusations mises à la charge de Nsumbu et condamné le prévenu à la peine de servitude pénale à perpétuité pour crimes de guerres par meurtres, par pillages, par torture, par destruction et prises d’otage, pour terrorisme et pour associations de malfaiteurs. 15 ans de servitude pénale principale pour mouvement insurrectionnel. Et le prévenu est condamné au paiement des dommages intérêts pour les préjudices causés. »
Aussitôt, le tribunal ordonne l’arrestation du condamné. Nsumbu est menotté par les éléments des Forces congolaises qui l’emmènent et l’embarquent dans une Jeep. Le tout puissant chef a échappé à la peine de mort requise par le procureur. Mais il est humilié, lâchent des jeunes venus ovationner le procès.
Un avertissement pour les fauteurs de troubles
Kande Kabue est le premier à réagir. Il loue son Dieu mais confie ses craintes. « Je remercie mon Dieu, il fallait qu’il paye de ses actes ; moi, j’ai perdu mon père et mes frères. Que l’État nous vienne au secours, nous avons tout perdu. J’alerte aussi sur des menaces dont moi et ma famille sont victimes de la part des frères de Nsumbu. Je crains des représailles. »
Les habitants de Nkongolo Moshi saluent, eux, l’organisation de ce procès sur leurs terres. « C’est une bonne leçon pour ceux qui troublent l’ordre public, ils doivent s’amender et respecter les lois du pays. Des jeunes de notre village sont avertis. On a très bien tranché, nous saluons le jugement, il méritait vraiment. Nous ne pensions jamais voir ça chez nous, ici au village. Ça, c’est un avertissement. Ceux qui détiennent les armes auront peur de commettre des actes criminels », entend-on parmi eux.
Maître Saul Musawu, coordonnateur du Bureau de consultation gratuite, organe du Barreau offrant une aide juridique sans frais, exprime sa satisfaction. « C’était un très bon débat, un procès équitable, j’ai trouvé les avocats à la hauteur. C’est le mérite. Nous demandons qu’on accélère d’autres procès qui sont encore dans la phase pré-juridictionnelle », déclare le jeune avocat trentenaire.
Satisfaction des parties civiles, appel de la défense
Dans le camp des conseils des victimes constituées en parties civiles, c’est une même satisfaction. Notamment car la responsabilité de L’État congolais a également été établie pour les dommages et intérêts. « Nous sommes très réjouis. Nous venons de franchir un pas sur le chemin de la lutte contre l’impunité. Nous sommes aussi satisfaits par rapport aux indemnités, mais on aurait dû offrir d’autres indemnités prévues par le statut de Rome [traité fondant la Cour pénale internationale], notamment la prise en charge médicale, psychologique et autre, vu le traumatisme subi par les victimes », réagit le bâtonnier Dominique Kambala.
La défense regrette, bien sûr, la sentence rendue. « Si vous suivez le tribunal, il n’a pas développé un grand argumentaire. Il n’a fait que revenir sur ce que les autres ont dit, sans donner des preuves. Nous irons en appel au deuxième degré », annonce l’avocat Freddy Kabangu, conseil de Nsumbu.
Les délégations se mettent maintenant vite en route. Il leur faudra 4 ou 5 heures pour arriver à Kananga, capitale de la province du Kasaï central. Le calme peut revenir à Nkongolo Moshi.