Fonctionnaire au centre nutritionnel de l'hôpital de Kigeme en 1994, Madame Ukunzwe a déclaré qu'elle était passée à l'hôpital le 17 avril 1994 dans l'après-midi, qu'elle y avait vu beaucoup d'enfants nouveaux venus, et qu'elle avait entendu dire par des collègues qu'ils avaient été emmenés là par Mgr Misago. Les juges ont demandé au témoin si elle avait vu elle-même le prélat ce jour là à Kigeme. Elle a répondu par la négative.
L'avocat des parties civiles, Me François Rwangampuhwe, s'est demandé pourquoi l'évêque avait fait "hospitaliser" même des enfants valides. Pour lui, c'était une façon de les rassembler afin que, le moment venu de les tuer, il n'y ait plus de survivant. Le substitut du procureur, Edouard Kayihura, a ajouté : "Que Mgr Misago nous montre ces enfants vivants et il aura prouvé son innocence!" Me Protais Mutembe, l'un des trois avocats de la défense, a répliqué : "Ce n'est pas à l'accusé de prouver son innocence, mais à l'accusation d'apporter les preuves de ce qu'elle dit".
Les deux autres témoins, Pascal Rwayitare et Anicet Nahayo, ont quant à eux déposé sur ce qu'ils savaient des événements survenus à l'école secondaire Marie Merci de Kibeho, où une centaine d'élèves tutsis ont été massacrés en mai 1994.
Pascal Rwayitare était fonctionnaire au bureau de l'inspecteur de l'arrondissement de Gikongoro en 1994. Il a indiqué que son supérieur l'avait chargé en son nom d'accompagner Mgr Misago, le préfet de la préfecture de Gikongoro à l'époque, Laurent Bukibaruta, et le commandant de la gendarmerie de Gikongoro, le major Bizimana, afin de voir quelle était la situation à l'école secondaire Marie Merci de Kibeho.
Les élèves de cette école, a-t-il dit, s'étaient divisés en deux et les élèves tutsis avaient fui l'établissement et trouvé refuge dans un collège voisin. Le groupe des dirigeants s'est d'abord entretenu avec les élèves hutus qui étaient restés dans leur école. Ceux-ci ont déclaré qu'ils "s'étaient séparés de l'ennemi comme on le demandait à la radio". Quant aux élèves tutsis, rencontrés ensuite au collège où ils avaient trouvé refuge, ils ont expliqué qu'ils avaient fui parce que leurs camarades hutus "avaient des instruments avec lesquels ils menaçaient de les tuer".
"Les dirigeants ont ordonné une fouille des effets des élèves hutus pour retrouver les "instruments" en question et ont appelé les deux groupes d'élèves à revivre comme ils avaient vécu ensemble durant des années auparavant, puis nous sommes tous repartis pour Gikongoro", a déclaré le témoin. Pascal Rwayitare a ajouté qu'après avoir fait rapport à son supérieur, il n'a plus suivi l'affaire de Kibeho parce qu'il ne travaillait pas tous les jours. Ce n'est que deux semaines plus tard qu'il a entendu dire que les élèves tutsis de Marie Merci avaient été tués.
Le troisième témoin, Anicet Nahayo, qui était en deuxième année à l'école Marie Merci, a indiqué pour sa part que lui et ses camarades de classe étaient trop jeunes pour savoir tout ce qui se faisait. Ils ne faisaient qui suivre leurs aînés, a-t-il expliqué, ajoutant qu'au moment du massacre des élèves tutsis, il avait entendu une fusillade sans comprendre ce qui se passait.
Me Rwangampuhwe a voulu faire annuler ce troisième témoignage par les juges, estimant qu'Anicet Nahayo était mineur à l'époque. Me Mutembe lui a fait comprendre que, selon la loi, on ne peut pas en effet appeler un témoin mineur, mais qu'on peut appeler un adulte à témoigner sur des choses qu'il a vues étant mineur.
Le Nonce Apostolique au Rwanda, ainsi que les évêques catholiques de Gisenyi et Ruhengeri, au nord-ouest du Rwanda, étaient présents dans le public venu suivre cette quatorzième audience du procès de l'évêque de Gikongoro, qui s'est ouvert pour la première fois le 20 août dernier. Mgr Misago, accusé de génocide et de crimes contre l'humanité, est le premier haut responsable religieux jamais traduit en justice dans l'histoire du Rwanda. Il a été arrêté le 14 avril 1999. La quinzième audience a été fixée au jeudi 20 janvier 2000.
WK/PHD/FH (RW&0118A)