"La démarche du Tribunal est louable" a dit Anastase Nabahire, "nous pensons que les autorités judiciaires rwandaises devraient faire de même" a-t-il ajouté.
Depuis sa création en mars 1997, l’équipe chargée du volet violences sexuelles auprès du bureau du procureur du TPIR à Kigali est passée de deux à six personnes.
Son travail a contribué à amener le TPIR à déclarer l’ancien maire de Taba (préfecture de Gitarama, centre du Rwanda), Jean-Paul Akayesu, coupable aussi bien de génocide que de crimes sexuels. Jean-Paul Akayesu a été condamné à l'emprisonnement à vie en octobre dernier.
Plus récemment, le Tribunal international a accédé à la requête du parquet en vue d’amender l’acte d’accusation de l'ancien directeur de l'usine à thé de Gisovu (préfecture de Kibuye, ouest du Rwanda), Alfred Musema, poursuivi pour génocide, et il a inclus dans l'accusation de nouvelles charges se rapportant au viol.
Victimes de viols négligées
Selon le secrétaire exécutif d'IBUKA, François Régis Rukundakuvuga, interrogé à Kigali par l'agence Hirondelle, les victimes attendent toujours que les juridictions rwandaises tiennent compte des charges de viol dans les prononcés de leurs sentences.
Pourtant, "dans plusieurs affaires en cours sur le génocide, il est souvent question de viol. En fait, il s'agit de la majorité des procès, parce que le viol était une des armes utilisées dans la commission du génocide", a poursuivi François Régis Rukundakuvuga.
Entre cinq cent mille et huit cent mille Tutsis et Hutus modérés ont été tués pendant le génocide rwandais entre avril et juin 1994. De nombreuses femmes tutsies ont été violées avant d'être tuées, de nombreuses autres ont été mutilées.
Martine Schotsmans, membre de l’organisation non gouvernementale belge Avocats sans frontières (ASF), affirme que les victimes des actes de viol commis durant le génocide sont souvent négligées.
"Tout le monde sait que le viol faisait partie intégrante du génocide", a-t-elle dit "mais nous n'en trouvons pas beaucoup de traces dans les dossiers judiciaires. Nous n'en savons pas réellement les raisons. Bien sûr il y a un tabou culturel entourant le sujet, mais également un manque de sensibilité et d'attention de la part des juges et peut-être même des avocats. Donc il reste un important travail à faire", explique Martine Schotsmans.
ASF travaille au Rwanda depuis plus de deux ans dans le cadre de la reconstruction du système judiciaire, en fournissant des avocats à des personnes accusées de génocide. Plusieurs de ses avocats sont étrangers, mais ASF travaille de plus en plus avec des avocats rwandais.
Changement d'attitude
Un des problèmes a été d'amener les victimes à parler, mais les associations de survivants du génocide ont essayé de le surmonter. Anastase Nabahire, parlant pour IBUKA, estime que les choses sont en train de changer progressivement.
"Le secret entourant ce sujet était le premier problème auquel nous avons eu à faire face, mais cela est en train d'être surpassé suite à la démarche systématique que nous avons adoptée", affirme Anastase Nabahire.
Les victimes des violences sexuelles demandent souvent la protection de leur identité durant les auditions, ce qui signifie que le public ne peut pas y assister. De telles requêtes sont généralement acceptées.
François Rukundakuvuga, secrétaire exécutif d’IBUKA, ajoute que les enquêteurs doivent en outre passer pour crédibles aux yeux des victimes. "IBUKA a des collaborateurs, que nous appelons des para-juristes, pour travailler dans ce domaine. Nous essayons d'en déléguer deux - généralement un homme et une femme - dans chaque chambre pour suivre les cas de viol. Souvent le rôle de la femme est d'encourager les victimes à rapporter à la Cour ce qui leur est arrivé. Et actuellement, dans l'ensemble, elles le font" constate François Rukundakuvuga.
Selon Anastase Nabahire, "beaucoup parmi les victimes travaillent avec nos avocats et il y en a même qui viennent de leur propre initiative dans nos bureaux pour témoigner. Il y a de plus en plus de cas qui nous sont soumis maintenant, comparativement au passé".
La majorité des victimes qui viennent auprès d'IBUKA ont besoin de traitement médical, parce que beaucoup d’entre elles ont des blessures restées longtemps sans soins, tandis que d’autres souffrent de maladies sexuellement transmissibles, indique Anastase Nabahire. "Elles ont besoin de soins médicaux, elles ont besoin d’être encouragées à parler et elles ont besoin de témoigner devant les tribunaux" conclut-il.
JC/JMG/AT/PHD/FH (RW§0531)