Elle a affirmé attendre la révision de la récente décision de la cour d'appel portant sur la relaxe d'un prévenu, ainsi que l'obtention d'un visa lui permettant de visiter ses bureaux de Kigali.
Le 3 novembre, la cour d'appel de La Haye aux Pays-Bas ordonnait la relaxe "immédiate" de l'ancien politicien rwandais Jean-Bosco Barayagwiza, au motif de violations répétées de la procédure lors de sa détention initiale au Cameroun ainsi qu'au cours de celle qui avait suivi son transfert au TPIR.
La décision avait été jugée choquante au Rwanda, où Barayagwiza est considéré comme l'un des architectes du génocide de 1994. Le 6 novembre, Kigali annonçait le gel de sa coopération avec le TPIR et, jusqu'à ce jour, a refusé un visa d'entrée à Carla Del Ponte.
Celle-ci a rappelé aux journalistes que la cour d'appel avait suspendu l'ordonnance de relaxe de Barayagwiza et lui avait donné jusqu'à Mardi prochain, 2 décembre, pour présenter des arguments juridiques en vue de la révision de la décision du 3 novembre. Cela n'est toutefois possible que sur la base de " faits nouveaux " dont Mme Del Ponte dit disposer. " Notre travail est pratiquement terminé " a-t-elle dit à la presse " et je compte que les documents seront remplis demain (mardi). Je m'attends aussi à ce que la cour d'appel retienne ma requête ".
Refusant de dévoiler ces " faits nouveaux ", Del Ponte a réfuté les accusations selon lesquelles son action serait dictée par des motifs politiques ou concertée avec le gouvernement rwandais. Kigali a rempli une requête en vue de son inscription comme amicus curiae (ami de la cour), à laquelle le procureur a dit apporter son soutien. " Je ne me soucie que de mon mandat et de ce que j'ai à faire en conformité à la loi " a-t-elle ajouté. " Nous avons de bonnes raisons d'obtenir une révision. C'était une décision purement juridique."
Del Ponte, qui espérait se rendre dans ses bureaux de Kigali cette semaine et rencontrer des membres du gouvernement rwandais a affirmé que son visa ne lui avait pas encore été accordé. Elle a cependant dit comprendre la frustration et la colère du gouvernement rwandais et des victimes du génocide, ainsi que leur réaction à l'annonce de la décision concernant Barayagwiza. " Je comprends leur position " a dit le procureur " mais je pense qu'elle évoluera. Il viendra un temps où les passions s'apaiseront. Je suis encore confiante ".
Elle a également annoncé son intention de rester au TPIR à Arusha où d'autres affaires la réclament.
A la question qui lui était posée de savoir si elle ne pourrait pas chercher assistance auprès du conseil de sécurité des Nations Unies, Mme Del Ponte a répondu en disant qu'elle s'était engagée à faire son rapport à New York après sa première visite au TPIR. " Même si je ne peux me rendre à Kigali, je rentrerai via New York" a-t-elle dit.
Del Ponte, ancien procureur de la Confédération Helvétique, a pris son poste actuel le 15 septembre et est basée à La Haye, au siège du Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie. Elle est à la fois procureur pour le TPIR et pour le TPIY. Elle a cependant confirmé son intention de passer plus de temps que ses prédécesseurs au TPIR. " Je pense passer un temps considérable au TPIR " a-t-elle dit aux journalistes. " J'ai cherché un logement aujourd'hui, afin de disposer d'une résidence permanente lors de mes séjours à Arusha. Et j'entends continuer à prendre une part active dans les procès ".
Cette semaine Del Ponte a eu des entrevues avec le greffier du TPIR ainsi qu'avec des juges et des procureurs. Elle est aussi apparue aux audiences, prenant une part active dans les procédures. Elle a décrit ses entrevues comme productives.
Je suis occupée à revoir avec le parquet l'agenda des enquêtes et des inculpations qui seront traitées l'année prochaine " a dit Del Ponte. " J'espère que le gouvernement rwandais comprendra que la décision de la cour d'appel nous retarde tous, que nous entendons fermement continuer notre travail (...) et que nous avons besoin de la coopération du Rwanda."
Nouvelle ARRESTATION
Del Ponte a par ailleurs annoncé l'arrestation d'un autre suspect du génocide rwandais. Il y a eu une autre arrestation vendredi à Paris a-t-elle dit. " Il s'agit d'un ancien haut responsable politique. Il a été appréhendé Je ne peux vous donner plus de plus amples détails pour le moment, mais le transfert de cette personne en vue de sa détention à Arusha est attendu dans les prochains jours.
La présence de Del Ponte à Arusha coïncide avec celle de plusieurs chefs d'Etat, dont le Président rwandais Pasteur Bizimungu, qui seront à Arusha du 30 novembre au 1er décembre en vue de la mise sur pied d'une nouvelle Communauté Est Africaine et de la désignation d'un nouveau médiateur de la paix pour le Burundi.
Del Ponte a dit qu'elle espérait pouvoir rencontrer Bizimungu. " Il n'est pas difficile de deviner ce que je lui dirai ou demanderai. J'ai besoin du soutien de tout le monde en vue de la poursuite de la coopération avec le Rwanda" a-t-elle ajouté.
Les activités du tribunal menacées
L'importance de la coopération rwandaise a été soulignée par le procureur adjoint, Bernard Muna (Cameroun), qui, en temps normal, est basé à Kigali. Il a affirmé que la décision de Kigali de suspendre la coopération avec le TPIR avait " considérablement ralenti sinon stoppé " le travail du bureau du procureur à Kigali. " Nous ne pouvons plus nous rendre sur le terrain " a dit Muna, expliquant que les enquêtes nécessitaient la coopération des forces de sécurité rwandaises et des services juridiques. Nous ne pouvons avoir de témoins, car il leur faut des autorisations. Nous aurions besoin d'un effectif complet mais aucun visa n'est accordé à nos nouveaux employés."
Muna a affirmé que le TPIR venait de parvenir au terme d'une phase de recrutement, censée combler un manque d'effectif, mais que les personnes engagées de fraîche date ne pouvaient entrer en poste, ajoutant qu'il avait aussi des difficultés à obtenir des visas pour les visites des membres des familles du personnel déjà en place. " Ceci perturbe aussi la sérénité du personnel actuel " a-t-il poursuivi.
Muna a critiqué la décision du 3 novembre de la cour d'appel, disant qu'il pensait que c'était du "mauvais droit ". Del Ponte a également fait part de sa surprise du fait que la cour d'appel donne plus d'importance à des erreurs de procédure qu'aux faits sous-tendant l'affaire. Elle a dit être convaincue que le nombre de preuves contre Barayagwiza était suffisant et qu'il serait amené à comparaître.
La décision de la cour d'appel fait néanmoins porter le poids des erreurs de procédure au bureau du procureur. Del Ponte a exprimé son intention de mener une enquête. Lorsqu'il lui a été demandé si elle savait ce qui avait pu se produire, elle a répliqué : " non, parce que je ne peux pas me rendre à Kigali ".
JC/KAT/FH (CDP§1129e)