Les premiers à plaider devant le Tribunal militaire ont été les défenseurs de l'accusé, Me Vincent Spira et Me Robert Assaël.
Les avocats genevois ont demandé l'acquittement de leur client, qui avait été condamné à la réclusion à vie en première instance par le Tribunal de division 2. L'auditeur, qui fait office de procureur dans la justice militaire, le major Claude Nicati, doit plaider jeudi.
Lors d'une plaidoirie qui a duré plus de 12 heures, les défenseurs ont affirmé que le premier jugement avait été rendu sous le coup de la pression et de l'émotion. Ils ont examiné longuement les nombreux témoignages entendus tout au long de cette procédure et ont dénoncé des contradictions et même des faux témoignages. Les avocats ont également estimé que les Conventions de Genève ne pouvaient pas s'appliquer à leur client. En outre, ils ont expliqué que le la justice militaire suisse n'était pas compétente pour juger Fulgence Niyonteze.
Procès d'un homme, pas le procès du génocide
Dans une très longue introduction, Me Assaël s'est tout d'abord incliné devant le million de victimes du génocide rwandais. Pour le défenseur, ce génocide était le " paroxysme de l'intolérable ". L'avocat a toutefois rappelé que ce procès n'était pas celui de génocide rwandais, mais celui d'un homme. " Si Fulgence Niyonteze était acquitté cela ne signifierait en aucun cas la négation de ce génocide ".
L'avocat genevois a reconnu que ce procès était celui "de toutes les difficultés": en raison de la forte tradition orale qui règne au Rwanda, en raison des énormes différences culturelles entre la Suisse et le Rwanda.
Le défenseur a encore interpellé le tribunal : " Faut-il être un bourgmestre mort pour ne pas être considéré comme génocidaire ? ".
Pour Me Assaël, la présomption d'innocence doit primer. Si les juges ont un doute raisonnable, ils doivent acquitter Fulgence Niyonteze, ce que n'a pas fait le Tribunal de division 2. L'avocat a critiqué le tribunal de première instance qui " a expulsé l'examen des témoignages en quelques lignes ". Il a rappelé que le Tribunal pénal international sur le Rwanda (TPIR) analysait, lui, dans les détails la crédibilité de tous les témoins.
Pour le défenseur, les juges du Tribunal de division 2 ont été submergés lors de leur jugement par l'émotion qu'ils ont ressentie - notamment lors de leur séjour au Rwanda - et par la pression. Une pression exercée selon lui par le gouvernement rwandais, la presse, les regards du monde entier, les moyens investis dans cette procédure et les attentes des victimes du génocide.
L'autre défenseur, Me Spira, a ensuite dressé l'itinéraire de Fulgence Niyonteze. Il a tout d'abord rappelé que son client était en détention préventive depuis quatre ans " c'est presque un record ". Membre du parti d'opposition hutu MDR (Mouvement démocratique républicain), Fulgence Niyonteze aurait toujours été un modéré et n'aurait jamais rejoint l'aile extrémiste du mouvement, comme l'avait confirmé la semaine passé l'ancien premier ministre du MDR, Dismas Nsengiyaremie. Selon son défenseur, Fulgence Niyonteze n'était pas un politicien de carrière, mais avant tout un technicien.
Me Spira s'est interrogé également sur l'origine de l'enquête contre son client. Elle a été déclenchée par l'association AJIR (Association pour une justice internationale au Rwanda), qui avait lancé une pré-enquête réalisée par des Rwandais. Ces enquêteurs seraient proches du CRDDR (Comité pour le respect des droits de l'homme et de la démocratie au Rwanda), qui tout comme AJIR aurait des accointances avec le FPR, selon la défense. Cette pré-enquête a joué un rôle énorme dans toute cette procédure, selon Me Spira. " C'est donc parti sur de très mauvaises bases ".
Faux témoignages
Me Assaël a ensuite examiné dans les détails 14 témoignages affirmant que Fulgence Niyonteze avait organisé - après son retour au Rwanda le 18 mai 1994 - une réunion au Mont Mushubati pour tuer les Tutsis, alors que l'ancien bourgmestre prétend que c'était pour lutter contre le charbonnage et pour éclaircir les sentiers. Me Assaël a cité des témoins qui auraient prétendu avoir entendu le bourgmestre appeler à tuer les Tutsis, alors qu'à cette période ils n'étaient déjà plus à Mushubati.
Un autre témoin, une femme, a accusé Fulgence Niyonteze d'avoir tué ses deux filles. L'une ne serait pas morte d'après la défense et l'autre aurait été tuée par une horde armée. Me Assaël a souligné que lors de l'instruction au Rwanda des traducteurs avaient influencé des témoins et n'avaient pas traduit leurs propos de manière exacte.
Me Spira a repris pour sa part les témoignages affirmant que Fulgence Niyonteze s'était rendu dans le camp de réfugiés de Kabgayi. Il a également montré que de nombreux témoins s'étaient contredits entre la pré-enquête, l'instruction et le premier procès. Beaucoup avaient prétendu avoir vu Fulgence Niyonteze en avril, alors qu'il est reconnu par tous qu'il était à cette période en France et qu'il n'est rentré au Rwanda que le 18 mai 1994.
Les deux défenseurs ont accusé de très nombreux témoins de faux témoignage. Selon eux, beaucoup d'entre eux ont évoqué des événements dont ils n'avaient jamais parlé avant le premier procès. " Comme par hasard, ces témoins ont fait le déplacement depuis le Rwanda ensemble et séjournaient dans le même endroit à Lausanne " ont expliqué les deux avocats. Ces derniers ont également affirmé que le gouvernement actuel faisait pression sur les personnes appelées à témoigner dans des procès d'individus accusés de génocide.
Me Assaël et Me Spira ont terminé leur analyse des témoignages en demandant à la Cour militaire d'éviter une erreur judiciaire et pour cela d'analyser et de critiquer sereinement tous les témoignages.
Crimes de guerre inapplicables
Me Assaël a ensuite expliqué que les Conventions de Genève ne pouvaient pas s'appliquer à cette affaire, puisque Fulgence Niyonteze n'était pas un militaire et qu'il n'avait aucun lien avec le conflit qui affectait le Rwanda. Leur argumentation était basée sur le jugement rendu par le TPIR dans l'affaire Akayezu, un ancien bougmestre également, dont la Cour internationale a estimé qu'il ne s'était pas rendu coupable de crimes de guerre, alors même qu'il se promenait souvent en treillis militaire dans sa commune.
De même, dans un jugement plus récent, le Tribunal international a renoncé à retenir les accusations de crime de guerre contre Alfred Musema, un ancien directeur rwandais d'usine à thé extradé depuis la Suisse. Dans ce cas comme dans celui d'Akayesu, le TPIR a en revanche prononcé une condamnation pour génocide et crimes contre l'humanité.
Me Spira a enfin expliqué que la justice militaire suisse n'était de toute manière pas compétente pour juger Fulgence Niyonteze. Selon le défenseur, son client n'a aucun lien ni avec l'armée, ni avec la Suisse. " Sinon, le tribunal militaire devient une cour suprême qui peut juger de tous les homicides qui se passent n'importe où dans le monde ". Me Spira a encore rappelé que la Suisse n'avait pas encore ratifié la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
L'auditeur Claude Nicati plaidera jeudi la culpabilité de Fulgence Niyonteze. Le verdict devrait être connu vendredi en fin de matinée.
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