L'ACCUSE AFFIRME ETRE VICTIME D'UN SYNDICAT DE DELATEURS

Genève, le 17 mai 2000 (FH) L'ancien bourgmestre de Mushubati (centre du Rwanda), Fulgence Nyonteze, a affirmé une nouvelle fois mercredi, devant le Tribunal militaire chargé de le juger en appel, avoir été victime d'un "syndicat de délateurs", qui aurait soudoyé des témoins pour déposer contre lui. Dans ses ultimes explications avant la clôture des débats, l'accusé a entièrement contesté les faits retenus à sa charge en première instance pour le condamner à la réclusion à vie.

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L'un des défenseurs, Me Vincent Spira, a mis en cause les conditions floues dans lesquelles l'enquête avait commencé. Le juge d'instruction militaire s'est fondé sur une enquête préalable informelle fournie par la plaignante, l'association AJIR (Association pour une justice internationale au Rwanda), aujourd'hui dissoute. Cette association avait dénoncé à la justice suisse le cas du bourgmestre de Mushubati, mais un de ses responsables, Jacques Pitteloud, avait refusé de communiquer les noms des enquêteurs rwandais, pour des raisons de sécurité.

Pour l'accusé, les témoignages recueillis lors de l'instruction et lors du premier procès, qualifiés de "contradictoires et incohérents" par ses défenseurs, ont été dictés aux intéressés par un "syndicat de délateurs" au Rwanda et en Suisse. Ce syndicat, qui aurait offert de l'argent aux témoins, a agi par vengeance et dans un but politique, a répondu l'accusé, questionné par l'un des juges. "On s'est attaqué à moi parce que je suis Hutu et un ancien responsable politique, mais surtout parce que j'avais réussi à entreprendre des études en Suisse" a-t-il affirmé.

Interrogé une dernière fois par ses défenseurs, par le procureur et par les juges, Fulgence Nyonteze a rejeté en bloc, comme en première instance, les accusations portées contre lui. "Je ne suis jamais allé à l'évêché de Kabgayi" a-t-il répété, "c'était beaucoup trop dangereux pour moi". Selon lui, s'il a pu franchir des barrières de miliciens dans sa commune et aux alentours, c'était en soudoyant les gardes. Avant la prise militaire de la commune par le FPR, "il m'était impossible de m'enfuir, aucun homme ne pouvait le faire", a précisé l'ancien maire, pour qui "démissionner aurait signifié ma mort dans l'heure".

Accusé d'avoir tenu une réunion sur une montagne de la commune pour inciter ses administrés à tuer les Tutsis qui se cachaient dans la région, Fulgence Nyonteze soutient qu'il s'agissait de débroussailler les pentes et qu'il n'a pas participé à une battue, tenant au contraire des propos pacificateurs dans un discours "de circonstance". "Personne n'a été tué et j'ai ensuite décidé de faire fuir ma famille, car j'étais menacé par les miliciens" a-t-il déclaré.

Déplacement du Tribunal en Belgique refusé

Auparavant, le Tribunal avait été saisi d'une requête de la défense, qui demandait un déplacement de la Cour en Belgique pour y entendre un nouveau témoin. Celui-ci affirme pouvoir démentir les déclarations faites par l'un des témoins rwandais entendus par les juges de première instance à Lausanne. Dans une lettre envoyée par fax lundi au Tribunal , ce Rwandais requérant d'asile en Belgique se disait prêt à rencontrer les juges suisses, mais dépourvu de documents de voyage.

Selon les avocats de la défense, l'audition de ce nouveau témoin, contredisant par écrit les allégations d'un autre témoin portant sur un cas d'assassinat, devrait permettre à la Cour de se rendre compte que "beaucoup d'autres témoins ont menti". Le déplacement en Belgique est d'autant plus justifié, ont affirmé les avocats de Nyonteze, au vu de "l'insupportable différence des moyens attribués à l'accusation par rapport à ceux qui ont été mis à disposition de la défense".

Le Tribunal a rejeté cette requête, estimant qu'elle était tardive, que les démarches auprès des autorités belges prolongeraient inutilement le procès et que la déclaration écrite pouvait être versée au dossier.

Par ailleurs, le Tribunal a procédé à la lecture de pièces portant sur des écoutes téléphoniques réalisées sur la ligne des époux Nyonteze pendant la période d'instruction du procès. Il a été question, notamment, d'un dialogue entre les époux Nyonteze et une Rwandaise pendant lequel l'ancien bourgmestre de Mushubati suggérait les réponses à donner aux autorités en vue de l'obtention du statut de réfugié politique. Pendant la conversation, les interlocuteurs ont aussi ironisé sur l'éventualité d'inviter un "Inyenzi" (cafard, expression péjorative utilisée pour désigner les Tutsis) à un dîner chez eux.

En clôturant les débats, le président, le colonel Luc Hafner a également suspendu le procès jusqu'à la semaine prochaine. Les deux défenseurs, Me Assael et Me Spira, plaideront toute la journée du 24 mai pour demander l'acquittement de leur client et le procureur, le major Claude Nicati, prononcera son réquisitoire le 25 mai. Après délibération de la Cour, le dispositif du jugement sera rendu publiquement vendredi 26 mai.

(PHD/DO/FH) (FU%0517)