Les avocats genevois qui défendent Fulgence Nyonteze, Me Robert Assael et Me Vincent Spira, contestent le jugement rendu le 30 avril 1999 par le Tribunal militaire de division 2, à Lausanne. Selon eux, la Cour n'avait pas suffisamment tenu compte de la présomption d'innocence de leur client. Lors de ce procès en appel, prévu pour durer deux semaines, les défenseurs s'efforceront de prouver l'innocence de Nyonteze "en fait et en droit".
Fulgence Nyonteze conteste la véracité de certains témoignages, entendus en première instance et à l'origine de sa condamnation. Il rejette, en particulier, l'accusation selon laquelle il aurait incité la population de sa commune, lors d'une réunion sur le mont Mushubati, à éliminer des concitoyens tutsis.
Selon ses dires, il n'aurait d'autre part jamais fait le déplacement de l'évêché de Kabgayi pour " tuer des Tutsis dans un évêché et faire enlever des réfugiés tutsis, pour les éliminer", comme les juges l'avait retenu lors du procès de première instance à Lausanne. Il y a, dit-il, "des témoins qui mentent et ce sont des délateurs. Ils sont encadrés pour cela et font partie d'un appareil de diabolisation".
Par ailleurs, l'ancien bourgmestre (nom donné aux maires rwandais) a réaffirmé aujourd'hui avoir été lui-même menacé par les milices à son retour au Rwanda, en plein génocide, en mai 1994, alors qu'il aurait tenté de protéger et sauver de nombreux administrés, dont des Tutsis. "Mon pouvoir, en tant que bourgmestre lors de cette période chaotique, a été exagéré", dit-il. "Je ne disposais que d'une force de cinq gendarmes, non armés, qui ne pouvaient rien contre les militaires et les milices Interahamwe, aux ordres des extrémistes venus d'ailleurs".
A l'occasion de cette première journée d'audience, le colonel Luc Marchal, à l'époque commandant du détachement belge de casques bleus de la MINUAR, a été entendu comme témoin. Il a affirmé que, dans la période qui a suivi l'attentat contre le président Habyarimana, le pouvoir avait glissé dans les mains de certaines unités de l'armée rwandaise et surtout des milices, véritables bras armés du parti présidentiel. Les bourgmestres étaient souvent sans pouvoir et sans moyen de maintenir l'ordre, a-t-il précisé. L'insécurité provenait souvent d'éléments venus de l'extérieur des communes et qui ne répondaient à aucune autorité locale.
Le tribunal a également entendu un prêtre catholique qui travaillait à l'évêché de Kabgayi au moment des faits et qui avait, lui aussi, déjà déposé en première instance. Lors du génocide, des dizaines de milliers de personnes s'étaient réfugiées dans les différents bâtiments de l'évêché. Selon lui, l'accusé ne s'est jamais présenté à Kabgayi pour sélectionner des réfugiés, en vue de leur élimination, comme l'affirme l'accusation. Il n'a pas non plus eu connaissance de rumeurs, selon lesquelles Nyonteze se serait présenté à l'évêché.
Le tribunal militaire d'appel 1, qui siège à Genève, est présidé par le colonel Luc Hafner et il est composé de quatre juges et de deux juges-suppléants. Comme en première instance, l'accusation est soutenue par le Major Claude Nicati. Le jugement doit tomber vendredi 26 mai.
Fulgence Nyonteze a été arrêté en août 1996 en Suisse, où il s'était réfugié avec sa famille en octobre 1994 et avait obtenu l'asile politique. Contrairement au cas d'un autre Rwandais arrêté en Suisse, l'ancien directeur de l'usine à thé de Gisovu, Alfred Musema, également poursuivi pour crimes de guerre par la justice militaire suisse, le Tribunal pénal international pour le Rwanda TPIR), installé par l'ONU à Arusha (Tanzanie), n'a pas demandé l'extradition de l'ancien maire de Mushubati Fulgence Nyonteze pour le juger lui-même.
Le jugement en Suisse d'un étranger pour des crimes de guerre commis à l'étranger est prévue par le code pénal militaire. La poursuite et le jugement sont confiés à la justice militaire. La Suisse est signataire des conventions internationales sur le droit de la guerre, notamment les Convention de Genève. Elle n'a en revanche pas encore ratifié la convention de l'ONU contre le génocide, de sorte que le Tribunal de première instance avait refusé de poursuivre l'accusé pour génocide et crimes contre l'humanité.
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