L’auditeur, faisant office de procureur dans la justice militaire suisse, le major Claude Nicati, a rappelé que le code pénal militaire ne prévoit pas de peine supérieure à celle de 20 ans de réclusion. Selon lui, il ne fait aucun doute que l’accusé s’est rendu coupable d’actes “gravissimes” et que la peine doit être maximale, en l'absence de circonstances atténuantes.
Durant cinq heures, l’auditeur militaire a passé en revue les faits et charges qui doivent, selon lui, être retenus contre l’accusé, se basant sur les dizaines de témoignages de l'accusation et de la défense entendus par les juges suisses au Rwanda et pendant les deux semaines du procès public.
La personnalité de l'accusé, son extrémisme politique et les dépositions crédibles de nombreux témoins conduisent à reconnaître sa culpabilité, malgré ses dénégations, a affirmé le procureur. Les écoutes téléphoniques précédant son arrestation révèlent un comportement dissimulateur, a relevé l'auditeur, qui a souligné l'appartenance de l'accusé à la fraction extrémiste du MDR (Mouvement démocratique républicain), dénommée "Hutu Power".
Instigation à l'assassinat et sélection des victimes
De retour de France au Rwanda, le 18 mai 1994, en plein génocide, l’accusé a “rassemblé la population sur le Mont Mushubati et donné l’ordre de tuer les Tutsis qui se trouvaient dans sa commune”. “D'après les témoins qui ont déposé devant la Cour, l’accusé est responsable d'au moins trois assassinats”, a poursuivi l’auditeur, selon lequel Niyonteze aurait également “supervisé la sélection des Tutsis, réfugiés dans les camps de l'évêché tout proche de Kabgayi, en vue de leur élimination ”.
Depuis le début de la procédure, a relevé le procureur, Fulgence Niyonteze “a refusé de collaborer avec la justice et nie toute responsabilité dans les massacres”. Cependant, à l’époque des faits “il n’a jamais pris aucune mesure pour sauver ou protéger ses administrés durant le génocide”.
“Bien au contraire, a ajouté le major Claude Nicati, l'accusé a assisté à des scènes de violence sans intervenir ”. De par sa fonction et son rôle, Niyonteze est donc “gravement responsable ” et “on ne peut lui reconnaître aucune circonstance atténuante”. Il faut en outre tenir compte du contexte "gravissime" du génocide en cours au Rwanda, a souligné le procureur.
Par ailleurs, selon l'auditeur, le bourgmestre jouissait de contacts au plus haut niveau et bénéficiait de la protection de militaires de haut rang, impliqués dans l'organisation du génocide. Le colonel Kayumba, qui l'a aidé à rentrer au pays, était à Paris pour acheter des armes, a souligné le procureur. L'accusé n'aurait jamais pu conserver son poste de bourgmestre s'il n'avait pas adhéré au programme d'extermination des Tutsis.
Le fait d'avoir sauvé des personnes menacées, en fournissant des fausses pièces d'identité à des religieuses tutsies et en hébergeant plusieurs familles, n'est pas en contradiction avec la culpabilité de l'accusé, a affirmé l'auditeur. Ce genre de situation était fréquente pendant le génocide, où des tueurs et même des planificateurs ont sauvé des victimes potentielles en raison de liens particuliers, a-t-il souligné.
Jugement du TPIR
Citant la jurisprudence du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui siège à Arusha, en Tanzanie, le procureur a encore relevé que "le fait de ne pas s’être opposé aux massacres et d’avoir abusé de son autorité en appelant au meurtre pendant le déroulement d’un génocide constituent des circonstances aggravantes".
Le jugement du TPIR cité par l'auditeur est celui de Jean-Paul Akayesu, l'ancien bourgmestre de la commune de Taba, dans la préfecture de Gitarama comme la commune de Mushubati. L'ex-maire de Taba a été reconnu coupable de génocide et condamné en première instance à la prison à vie. Le Tribunal international a jugé que Jean-Paul Akayesu avait participé aux massacres dans sa commune, après avoir résisté aux violences pendant une dizaine de jours en avril 1994.
Le plaidoyer des deux défenseurs, les avocats de Genève Robert Assael et Vincent Spira, a débuté dans la soirée de mardi et devrait se terminer mercredi. Les défenseurs de Fulgence Niyonteze contestent les charges de l'accusation et plaident l'acquittement.
DO/PHD/FH (FU§0414c)