Il y a tout juste un an, le 16 juillet 2020, la Belgique installait une commission spéciale destinée à faire la lumière sur son passé de colonisateur au Congo, au Rwanda et au Burundi. L'entreprise, vaste et ambitieuse, qui s'impose alors à la conscience des parlementaires belges, fait suite à une grande manifestation contre le racisme à Bruxelles et à plusieurs actes de vandalisme sur des statues du roi Léopold II, mort en 1909 et symbole de la violence coloniale belge au Congo. Le temps de pointer officiellement les responsabilités d'institutions et d'entreprises belges dans l'exploitation des populations congolaise, rwandaise et burundaise – globalement entre 1885 et 1962 – est arrivé.
La Commission, composée de seize députés, mandate alors dix experts, parmi lesquels des historiens bien sûr, mais aussi des juristes et des sociologues, pour dresser un état des lieux : quelles sont les zones d'ombre de cette période de l'histoire qui font polémique, les non-dits qui crispent des victimes et font naître chez leurs descendants un sentiment d'injustice qui s'exprime avec force aujourd'hui ?
Ce travail préliminaire des experts devait durer entre deux et trois mois. Il arrive seulement aujourd'hui à son terme. « C'est un premier rapport très complet qui vient d'être achevé. Il comprendra des éléments sur l'histoire, sur les archives, sur la recherche universitaire, sur les lacunes dans les connaissances. Mais aussi des contributions sur le racisme et le colonialisme, sur les processus de réconciliation, sur les processus de restitution d'œuvres d'arts, etc. », déclare Wouter De Vriendt, député du parti Ecolo-Groen, qui préside la Commission spéciale. « Le rapport, qui est en cours de traduction, sera présenté en séance publique de la Commission en septembre, où les experts l'expliqueront. Il sera également publié, notamment sur le site Internet de la Chambre ».
Une liste de questionnements
Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer un tel retard. La première est d'avoir sous-estimé l'ampleur de ce travail de synthèse. Très vite après la constitution du groupe d'experts et la description de leur mission, il est apparu que le délai initial – l'automne 2020 – ne pourrait pas être respecté. Un second délai, en décembre 2020, a volé en éclats pour les mêmes raisons. Puis, d'autres difficultés s'y sont ajoutées, dont les règles liées à la crise sanitaire mondiale, qui ont empêché les experts de se rencontrer et de réaliser certaines auditions, ainsi que le décès de l'un d'eux, l'évêque Jean-Louis Nahimana, ancien président de la Commission vérité et réconciliation au Burundi.
Les experts ont travaillé dans l'ombre et rien n'a filtré de leur travail. En octobre dernier, lors d'une des deux seules audiences publiques devant la commission spéciale depuis sa création, ils avaient néanmoins levé un coin du voile sur leur méthode. Ils avaient expliqué avoir scindé leur rapport en différents volets, dont un axé sur l'histoire, un autre sur la notion de réconciliation ou encore de réparation.
« Le volet historique n'apporte pas de nouvelles études, c'est simplement un aperçu de certains thèmes importants », avait précisé Gillian Mathys, historienne à l'Université de Gand. « Il faut le voir comme une sorte de fil rouge pour la poursuite des travaux de cette commission parlementaire. Il comporte lui-même deux chapitres importants, l'un axé sur l'histoire elle-même et l'autre axé sur les archives ».
Le volet réconciliation, lui, vise à aider les commissaires à clarifier les attentes. « Qui doit se réconcilier ? Les Belges entre eux ? Des générations de Belges entre eux ?Les Burundais et les Belges ? Les Rwandais et les Belges ? Les Congolais et les Belges ? La diaspora et les Belges ? », avait interrogé une autre membre du groupe d'experts, Valérie Rossoux, docteur en philosophie et en relations internationales.
Le volet réparation suit une même série de questionnements. « Est-ce qu'on attend des restitutions d'œuvres d'art, d'autres objets, de parties corporelles ? Ou une compensation financière ? Ou encore des mesures symboliques comme les excuses, des moments de commémorations ? », avait présenté Martien Schotsmans, juriste expérimentée en justice transitionnelle. « Mais il faudra aussi dire qui est responsable pour le préjudice qui a été causé : l'État belge, l'Église, des entreprises, les scientifiques qui ont développé des idéologies racistes pour justifier le processus de civilisation ? La Maison Royale ? Et il faudra dire quelles sortes de responsabilités : juridiques, morales, politiques ? Qui devra contribuer à ces mesures de réparation et à qui sont-elles destinées : des familles, des communautés, des populations entières ? Nous allons citer quelques exemples de ce qui a été fait ailleurs et nous formulerons des recommandations », avait précisé la spécialiste.
Un mandat prolongé d'un an
Comment les commissaires vont-ils travailler après avoir pris connaissance de ce rapport ? Quelle méthodologie vont-ils eux-mêmes adopter ? « Le rapport des experts contient justement des recommandations méthodologiques, il est donc difficile de faire beaucoup de déclarations à ce sujet pour le moment », répond prudemment Wouter De Vriendt. « Dans tous les cas, il y aura une série d'auditions, a priori à raison d'une par semaine, sur les différents thèmes abordés dans le rapport. On ne sait pas encore si les experts resteront impliqués dans la commission et quels témoins seront entendus. Mais il est évident que des témoins des pays concernés le seront », assure le président de la Commission spéciale. Ce sont bien les députés membres de celle-ci qui devront entrer dans le vif du sujet de la colonisation mais la suite des travaux reste donc floue. Elle se déroulera cependant, cette fois-ci, en public.
Les experts avaient attiré l'attention des commissaires sur ce point. « Si vous voulez que les travaux de cette commission soient légitimes et efficaces, il faut un processus participatif », avait prévenu Martien Schotsmans. « Si vous voulez ouvrir un débat sur les conséquences du colonialisme aujourd'hui et les liens avec le racisme et la discrimination, vous ne pourrez pas le faire si vous n'organisez que des réunions ici. Il faut vraiment aller à l'extérieur, il faut de grands débats sociaux, ouvrir les portes à tout le monde pour qu'il y ait un véritable dialogue avec la société ». L'entreprise pourrait donc s'avérer être de longue haleine. Le mandat de la Commission a d'ores et déjà été prolongé d'un an, jusqu'en juillet 2022. Quant à son budget, « il n'est bien sûr pas infini », explique Wouter De Vriendt, « mais il ne sera certainement pas un problème ».