Dans ce livre, qui paraît le 10 septembre en France aux éditions Flammarion, Hartmann explique comment, en août 2003, Carla del Ponte a été écartée par le Conseil de sécurité des Nations unies du poste de procureur pour le Tribunal pénal international pour le Rwanda, ne conservant ses prérogatives que sur son pendant yougoslave. A New York, affirme l’ancienne journaliste française, l’entrée dans le millénaire a signé la fin des tribunaux ad hoc, celui pour l’ex-Yougoslavie comme celui sur le Rwanda ayant été sommés de boucler leurs travaux et de clore leurs portes dans la décennie. Coté américain, il importe alors, selon Florence Hartmannn de « s’assurer du soutien de leurs alliés rwandais à la fermeture du tribunal d’Arusha, même s’il est loin d’avoir terminé de juger les plus hauts dignitaires du pouvoir hutu, instigateur du génocide de 1994 (…) A l’annonce, en novembre 2001, d’une fermeture rapide du tribunal, les autorités rwandaises ont protesté, jugeant l’idée prématurée. Mais le président Paul Kagamé n’est pas difficile à convaincre. Carla del Ponte a ouvert en décembre 1999 des enquêtes contre des officiers tutsis de l’Armée du Front patriotique rwandais (FPR) que Kagamé commandait. » A Kigali, Kagamé « estime que ses hommes n’ont pas de comptes à rendre à la justice d’une communauté internationale qui a laissé les Tutsis se faire massacrer. Pierre-Richard Prosper (procureur américain au TPIR jusqu’en 1998 qui deviendra en 2001 ambassadeur américain pour les crimes de guerre NDLR) promet que la fermeture du TPIR mettra un terme à ces enquêtes qui le dérangent » écrit Florence Hartmann. Au printemps 2003, Washington passe à la vitesse supérieure. Prosper tente d'obtenir un accord entre Kigali et la procureure du TPIR. Si la manœuvre n’était plus vraiment un secret, l’auteure en raconte les détails : « Mercredi 14 mai 2003, en fin d’après-midi, dans une élégante salle de conférence du Département d’Etat (…) Del Ponte et ses conseillers prennent place autour d’une table, face à la délégation rwandaise. En bout de table, Pierre Prosper joue les maîtres de cérémonie. Il interfère, suggère les grandes lignes des débats. » Carla del Ponte reproche à Kigali de faire obstruction. « Les Rwandais rétorquent que le parquet est loin d’avoir accompli son mandat. Pour preuve, ils ont préparé une disquette comportant trois cent cinquante noms de hauts responsables présumés du génocide contre qui le TPIR n’a pas encore engagé de poursuites. » Les négociations reprennent le lendemain. « Le message est clair : Le TPIR ne peut pas légitimer des enquêtes contre les militaires tutsis alors qu’il est loin d’avoir terminé son travail sur le génocide. Les Rwandais ne nient pas les crimes mais contestent à quiconque, et en particulier à la communauté internationale, le droit de poursuivre les membres de son armée. Ils disent vouloir s’en charger (…) Prosper intervient à plusieurs reprises pour encourager la procureure à céder les enquêtes spéciales au Rwanda. La magistrate est disposée à laisser les Rwandais conduire des enquêtes parallèles, mais veut garder la main sur les conclusions du dossier APR. Prosper penche en faveur du Rwanda, qui veut garder la main sur les enquêtes et les poursuites contre ses officiers." Mais, peut-on lire dans Paix et Châtiment, les discussions butent sur le refus de la Suissesse lorsqu'elle reçoit, en juillet à La Haye, un projet d’accord. « Del Ponte repousse le document de la main et laisse à ses conseillers le soin d’informer Prosper de son refus d’y souscrire. De son coté, elle avertit le cabinet de Kofi Annan qui condamne la manœuvre américaine mais tient grief à Del Ponte de s’être exposée à la pression d’un Etat", raconte Hartmann. Le Conseil de sécurité enjoint alors au procureur de boucler ses enquêtes fin 2004. De leur côté, en échange de la suspension des poursuites, les Américains obtiennent de Kigali la signature d’un accord bilatéral assurant l’impunité de leurs propres soldats face à la Cour pénale internationale (CPI). Le congrès américain lève l’embargo sur les armes et vote un accord d’assistance militaire au Rwanda. En août 2003, New York vote la résolution destituant Carla del Ponte, en assignant au TPIR un procureur spécifique. Hassan Bubacar Jallow prend la tête du parquet. En novembre 2003, alors que New York débat du texte qui aboutira à la résolution du 26 mars 2004 portant sur la « stratégie de fin de mandat» des tribunaux ad hoc, Pierre Richard Prosper rassure le président Kagamé. Florence Hartmann affirme ainsi qu'« Il le convainc de ne pas se soucier du texte de la future résolution puisque le gambien Hassan Bubacar Jallow, nommé début septembre pour succéder à Del Ponte, a entériné la promesse des Etats-Unis aux autorités rwandaises sur l’abandon des poursuites contre les militaires tutsis par le TPIR. » Fragilisée aussi dans sa reconduction à la tête du parquet du TPIY - plusieurs voix s’élevant au Conseil de sécurité pour limiter son mandat à un an - Carla del Ponte n’avait produit aucun acte d’accusation contre l’APR, qui lui aurait pourtant permis de lier le parquet à ses enquêtes. Depuis quatre ans, Hassan Bubacar Jallow affirme pour sa part qu’il consulte les cartons de pièces laissées par les enquêteurs de Carla del Ponte, qui étaient parvenus à enquêter sur certains sites de massacres au nord du Rwanda, et répond invariablement qu’il va prendre une décision à ce sujet. Quinze mois avant la fermeture décidée du TPIR, Paix et châtiment sème le doute sur la volonté du TPIR d'ouvrir ce dossier. SM/PB/GF © Agence Hirondelle
« PAIX ET CHATIMENT », UN LIVRE EXPLOSIF SUR LA JUSTICE INTERNATIONALE
La Haye, 7 Septembre 2007 (FH - TPIR/EDITION ) - Dans Paix et Châtiment, Florence Hartmann, l’ancienne porte-parole de Carla del Ponte, ex-procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda, raconte comment sur pression des Etats-Unis les enquêtes spéciales visant les suspects de l’Armée patriotique rwandaise (APR) ont été enterrées, entachant à jamais le bilan du TPIR.
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