[Mise à jour : Vendredi 26 novembre, Hassan Bouba a été libéré de sa prison par la gendarmerie indique l'AFP. La Cour pénale spéciale déplore, dans un communiqué, "une entrave au bon fonctionnement de la justice".]
Il aura fallu trois jours à la Cour pénale spéciale (CPS) pour officialiser l’arrestation du ministre centrafricain de l’Élevage Hassan Bouba, ancien haut responsable du groupe rebelle Union pour la paix en Centrafrique (UPC). En dix lignes, son communiqué de presse annonce ce lundi 22 novembre son incarcération et son inculpation pour « crime de guerre et crime contre l’humanité » après qu’il a été conduit devant la Chambre d’instruction « en présence de son avocat ».
L’opération a été menée par les forces de sécurité centrafricaines munies d’un mandat de la Cour et s’est déroulée dans l’enceinte même du ministère de l’Élevage et de la Santé animale. « Il eût été beaucoup plus risqué de l’arrêter à son domicile du PK5 [le quartier musulman de Bangui NDLR] estime une source sécuritaire l’opération a été montée en quelques jours et dans le plus grand secret pour éviter qu’il ne prenne la fuite ». La Constitution centrafricaine ne prévoit pas d’immunité pour les ministres en exercice. Ni le gouvernement ni le parquet centrafricain n’ont pour l’instant fait de déclaration.
L’ordonnance aux fins d’incarcération, datée du vendredi 19 novembre 2021, signée de la main des juges d’instruction Michel Ngokpou et Adelaïde Dembele et consultée par Justice Info confirme les charges retenues contre l’inculpé et ordonne son placement en détention provisoire « pour cinq jours ouvrables ».
Bouba collabore avec Sangaris
A Bangui, la capitale de la Centrafrique, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre et certains magistrats de la Cour ont craint pour leur sécurité. Des personnels de la Cour auraient, selon nos sources, été mis à l’abri d’éventuelles représailles.
Car à 36 ans, l’ancien numéro 2 de l’UPC a déjà une carrière bien remplie. Bouba débute au sein des services secrets tchadiens. Autrefois proche de l’actuel directeur des renseignement généraux à Ndjamena, l’ancien rebelle Baba Laddé connu pour être le mentor du chef de guerre Ali Darassa, qui est à la tête de l’UPC depuis 2014.
Négociant en bétail, Bouba grimpe les échelons du groupe armé pour devenir coordinateur politique et bras droit de Darassa. Il collabore également avec les militaires de l’opération française Sangaris, déployée de décembre 2013 jusqu’au mois d’octobre 2016, suite à l’éclatement de la guerre civile et aux combats entre milices Seleka et anti-Balaka.
Il se rapproche des autorités à la faveur d’une politique d’ouverture menée par le président Faustin-Archange Touadéra qui en fait son conseiller spécial en 2017. Détenteur d’un passeport diplomatique, Bouba fait alors office d’interface entre le groupe rebelle et le gouvernement.
Bouba donneur d’ordre à Alindao ?
L’année suivante, en novembre 2018, au moins 112 civils dont une vingtaine d’enfants sont massacrés dans un camp de réfugiés près d’Alindao dans le centre du pays. L’ONG américaine The Sentry met en cause dans son dernier rapport la responsabilité du ministre incarcéré depuis vendredi. Ce dernier aurait lui-même ordonné l’attaque, selon des témoins cités par l’ONG. Pour l’heure on ne sait pas quels autres crimes pourraient également lui être imputés.
Les années suivantes, Bouba fait des aller-retours entre le palais présidentiel et l’UPC, tantôt en disgrâce tantôt bénéficiant des faveurs du pouvoir, et joue également un rôle de facilitateur auprès des « instructeurs » russes récemment installés en Centrafrique.
« Il les utilise et se laisse utiliser par opportunisme dans l’unique but de s’enrichir » juge un bon connaisseur des groupes armés en Centrafrique. Bouba apparaît fin médiateur, réputé très influent, et sachant utiliser en sa faveur les luttes de de pouvoir.
En 2020, il intègre le gouvernement de Firmin Ngrébada pour représenter l’UPC dans la logique des accords de paix de Khartoum signés l’année précédente. Mais sa nomination se fait contre l’avis du chef de l’UPC dont il a perdu la confiance. Peu après le décès brutal du ministre Souleymane Daouda, issu lui aussi des rangs de l’UPC, il hérite du portefeuille de l’Élevage et de la Santé animale. Il est maintenu à son poste dans le gouvernement dirigé par Henri Marie Dondra mis en place en juin dernier.
Dans un communiqué daté du 24 janvier 2021, Bouba a été définitivement radié de l’UPC.
« Pourquoi lui » ?
Alors « pourquoi l’avoir arrêté lui ? », et pas ceux des rebelles qui ont refusé de désarmer, s’interroge-t-on à Bangui.
Réélu en décembre 2020 pour un second mandat, le président Touadéra avait alors promis que la fin de l’impunité sera désormais sa priorité. Car « plusieurs autres membres du gouvernement sont issus des groupes armés, et nombre de chefs rebelles se déplaçaient encore librement dans la capitale quelques mois plus tôt » fait remarquer Enrica Picco, directrice de projet Afrique centrale à l’International Crisis Group (ICG).
« S’il faut y chercher une logique elle se trouve dans l’opportunité politique poursuit la chercheuse. La Cour criminelle de Bangui a déjà jugé des crimes contre l’humanité qui auraient pu être transmis aux tribunaux internationaux et mixtes que sont la CPI et la CPS. Mais il était primordial pour cette dernière de lancer un premier signal fort, plus de six ans après sa création [par une loi de juin 2015, NDLR] et après avoir reçu d’importants financements de la communauté internationale ».
"Si le gouvernement arrête un membre d’un groupe armé, alors il n’y a plus d’accord », déclarait en 2019 Bouba, interrogé par l’ONG de défense des droits humains Human Rights Watch. « Aujourd’hui son arrestation risque de mettre à mal le processus de paix lancé par les accords de Khartoum » analyse Picco.
Une semaine auparavant, le 10 novembre, le doyen des juges d’instruction de Bangui a par ailleurs émis une ordonnance de renvoi devant la Cour criminelle contre les principaux chefs de groupes armés. La feuille de route de Luanda pour la paix, établie en septembre par les autorités centrafricaines sur impulsion angolaise et rwandaise n’a pas connu d’avancée significative. L’offensive militaire se poursuit dans le Nord-Ouest et le Centre du pays en dépit du cessez-le-feu unilatéral proclamé par le chef de l’État mi-octobre. « Ces éléments laissent penser que le gouvernement semble actuellement privilégier l’option militaire aux négociations » affirme Picco de l’ICG.
« Le gouvernement perd un atout considérable »
Dans cette lutte contre les groupes armées qui l’an dernier contrôlaient encore la majeure partie du territoire centrafricain avant d’être repoussés hors des principales agglomérations par les forces alliées, « le gouvernement vient de perdre un atout considérable » analyse notre source sécuritaire. Bouba informait très régulièrement le gouvernement sur les activités de la coalition rebelle CPC de l’ancien président François Bozizé, qui a tenté de prendre Bangui par les armes au mois de janvier 2021. Bouba aurait été jusqu’à créer une branche dissidente au sein de l’UPC, destinée à déstabiliser le mouvement notamment en organisant le désarmement de quelques dizaines de combattants, indique la même source.
Bouba hors-jeu, le chef de l’UPC Darassa s’en frotte probablement les mains. Le ministre de l’Élevage était également réputé proche des « instructeurs russes » qui combattent aux côtés de l’armée centrafricaine, suspectés par l’Onu d’être recrutés par la société militaire privée Wagner et de s’être rendus coupables de graves exactions durant la contre-offensive menée ces derniers mois par l’armée centrafricaine contre une quinzaine de groupes rebelles.
Le gouvernement centrafricain a-t-il été mis au courant ? Le président Touadéra a-t-il donné son accord ? Que contient le dossier d’instruction ? De nombreuses questions restent en suspens et notamment ses conditions de détention : Bouba est actuellement détenu au camp de Roux, qui sert aussi de quartier général aux « instructeurs russes » présents en RCA.
Une audience est annoncée à la CPS, vendredi 26 novembre, qui doit décider de la prolongation ou non de sa détention provisoire. Selon notre décompte, à ce jour plus de vingt personnes ont été placées depuis la mi-2019 en détention provisoire par la CPS, qui ne communique pas à ce sujet et dont le premier procès se fait attendre.