Hassan Habib Merhi et Hussein Hassan Oneissi ont été acquittés en août 2020. Les deux hommes avaient été jugés par le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) pour des accusations de terrorisme et de meurtre pour leur rôle présumé dans l'assassinat par attentat à la bombe, en 2005, de l'ancien Premier ministre libanais Rafik al-Hariri. Le procès - par contumace - était le résultat de quinze années d'enquête. Le procureur avait fait appel, estimant que la Chambre de première instance avait "commis une erreur" en jugeant qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves. Le 10 mars, les juges d'appel ont reconnu que, en acquittant Merhi et Oneissi, la Chambre de première instance avait mal évalué les preuves circonstancielles dans cette affaire qui reposait presque entièrement sur des enregistrements de téléphones portables. Ils ont conclu que les juges de première instance avaient "commis des erreurs de droit invalidant le jugement et des erreurs de fait entraînant une erreur judiciaire", selon un communiqué du TSL. En conséquence, les juges d'appel ont déclarés coupables les deux hommes de complicité dans l'attentat contre le convoi de Hariri.
Le jugement initial de la Chambre de première instance était long et nourri de détails historiques et médico-légaux. Quelque 300 témoins ont été entendus au cours du procès et 170 000 pages de preuves ont été soumises au cours des quinze années qui ont suivi l'envoi au Liban des premiers enquêteurs internationaux sur l'assassinat d'Hariri. Le jugement en appel est tout aussi lourd. "Le jugement en appel contribue aux archives historiques en tant que récit factuel de ce qui s'est passé", explique le procureur du TSL, Normal Farrell, dans un entretien par courriel avec Justice Info. "La mise au jour des faits sur ce qui s'est passé le 14 février 2005 à midi peut être considérée comme une forme de justice. C'est une base pour contrer les faux récits factuels ou le révisionnisme historique. C'est, en partie, un remède. Mais pas un remède complet, et pas une justice complète. Une condamnation in absentia n'est, fondamentalement, qu'une justice de second choix. Une justice complète exige que les personnes condamnées, qui ont échappé à la justice, soient arrêtées."
Procès par contumace
Le 14 février 2005, Hariri, homme d'affaires milliardaire qui avait été Premier ministre du Liban de 1992 à 1998, puis de 2000 à 2004, circulait en cortège dans le centre de Beyrouth lorsqu'une bombe dissimulée dans une camionnette a explosé, le tuant ainsi que 21 autres personnes. Il avait soutenu les appels lancés à la Syrie, soutien du puissant mouvement politico-militaire libanais Hezbollah, pour qu'elle retire ses forces du Liban. Après avoir recueilli des éléments de preuve, les Nations unies et le Liban avaient conjointement créé, en 2007, le TSL, basé aux Pays-Bas, pour enquêter sur l'attentat.
Cinq agents du Hezbollah ont été inculpés par le TSL en 2011 et 2013 puis jugés : Mustafa Amine Badreddine, Salim Jamil Ayyash, Hassan Habib Merhi, Hussein Hassan Oneissi et Assad Hassan Sabra. Ayyash était accusé d'avoir coordonné l’exécution de l'attentat. Avec Badreddine, il aurait surveillé Hariri. Les trois autres avaient des rôles plus mineurs.
Le Hezbollah a nié toute implication dans cet assassinat. Badreddine, un commandant militaire de haut niveau du Hezbollah, aurait été tué en Syrie en 2016. Les quatre autres accusés ont tous été jugés par contumace et sont toujours en liberté. En 2020, Ayyash a été reconnu coupable et condamné à la prison à vie. Les trois autres ont été acquittés. Les juges du procès ont conclu qu'aucune preuve n'impliquait les dirigeants du Hezbollah.
L'accusation a fait appel des acquittements de Merhi et Oneissi, mais pas de celui de Sabra. L'équipe de défense d'Ayyash a tenté de faire appel de sa condamnation. Mais la Chambre d'appel a déclaré qu'il n'existait aucun mécanisme permettant à la défense de contester ce verdict car le cadre juridique du TSL "n'envisage pas un appel de la défense par contumace".
Retournement de situation
Le TSL coûtait environ 2,8 millions d'euros par mois - pour un total d'environ 1 milliard de dollars depuis l'ouverture d'une enquête internationale en 2015 - et se préparait à entamer un deuxième procès contre le même accusé, Ayyash, à nouveau par contumace. En juin 2021, le tribunal s'est retrouvé à court de liquidités, ce qui signifiait qu'il devait fermer ses portes fin juillet, faute de fonds. Les bailleurs ont alors débloqué de l'argent pour couvrir uniquement le jugement en appel, soit environ 7 millions d'euros pour 2022.
L'accusation s'est principalement appuyée sur l'analyse des appels entre différents téléphones portables qui, selon elle, ont été utilisés pour planifier, préparer et exécuter l'attentat. Elle avait fait valoir qu'après l'attentat, Merhi et Oneissi avaient participé à la diffusion d'une fausse revendication de responsabilité enregistrée sur vidéo. La Chambre d'appel a conclu qu'un réseau de téléphones, qualifié par le procureur de "Réseau vert", a été utilisé pour coordonner l'attaque et que Merhi et Ayyash étaient membres de ce Réseau. Elle a annulé à l'unanimité les acquittements de Merhi et Oneissi et les a déclarés coupables de cinq chefs d'accusation : conspiration visant à commettre un acte terroriste, complicité dans la commission d'un acte terroriste, homicide volontaire et tentative d'homicide volontaire. Les juges ont déclaré que, peu après l'attentat, Merhi et Oneissi ont participé à la distribution de la vidéo et se sont assurés qu'elle serait recueillie et diffusée sur la chaîne de télévision Al-Jazeera dans les heures suivant l'attentat. "Le jugement en appel a corrigé les faits, notamment l'implication de Mustapha Amin Badreddine, un commandant militaire du Hezbollah, en tant que membre du réseau qui a coordonné l'attaque et le rôle de ceux qui ont tenté de présenter une fausse revendication de responsabilité", affirme Farrell.
La prochaine étape est une condamnation par contumace. "Avec le prononcé de la sentence, le Tribunal s'attend à ce que toutes les procédures judiciaires liées à l'affaire soient terminées d'ici juillet 2022", déclare Wajed Ramadan, porte-parole du Tribunal. Auparavant, le greffier avait déclaré qu'ils se dirigeraient vers une "entité dormante".
"Après leur acquittement, les mandats d'arrêt contre Merhi et Oneissi ont été annulés", explique Ramadan. "Suite à leur condamnation, de nouveaux mandats d’arrêt locaux et internationaux ont été émis jeudi. Les mandats locaux sont envoyés aux autorités libanaises. La Chambre d'appel a également autorisé le procureur à demander à Interpol de publier des notices." Le lieu où se trouvent les deux hommes n'est pas connu. "Les efforts doivent se poursuivre pour arrêter les trois personnes condamnées", déclare Farrell.
L'implication de la Syrie toujours sur la table
Même si le tribunal a été coûteux et a pris de nombreuses années, Farrell revendique "un certain nombre d'éléments de réussite" pour l'accusation. "Tout d'abord, les accusés ont été condamnés sur la base de preuves complexes et techniques en matière de télécommunications. Une condamnation fondée en grande partie sur des données techniques est historique en termes de justice internationale. Deuxièmement, l'enquête menée avec l'aide des Libanais a permis de découvrir non seulement le réseau des individus qui ont perpétré l'assassinat du 14 février 2005, mais aussi d'autres réseaux clandestins utilisés pour surveiller l'ancien Premier ministre pendant des mois. Il n'y a eu aucun contact ou communication entre les différentes cellules ou réseaux qui ont travaillé ensemble pour réaliser cet attentat. La mise au jour des différents réseaux interconnectés et de leur coordination a permis au tribunal et au peuple libanais de comprendre comment il était possible que Rafic Hariri soit assassiné en plein jour dans le centre de Beyrouth. Troisièmement, la condamnation, fondée sur des faits acceptés par la Chambre d'appel, est conforme aux normes les plus élevées de la justice internationale. Les accusés, bien qu'absents, ont bénéficié de tous les droits de la défense, ont été défendus par des avocats et ont été condamnés sur la base de la norme requise d’une preuve au-delà du doute raisonnable." Farrell note que l'acte d'accusation contre Ayyash pour son implication présumée dans une deuxième affaire concernant trois autres attaques est maintenu, même si le TSL ferme.
D'autres se montrent moins enthousiastes. C'était "une bonne chose pour les juges de justifier les mois de salaire supplémentaires - au moins, l'appel a finalement réussi", déclare Nidal Jurdi, qui représentait les victimes dans la deuxième affaire, liée à la première.
Robert Roth, professeur de droit à l'Université de Genève et ancien juge au TSL, a démissionné il y a plusieurs années en exprimant une critique sévère des interférences politiques dans son travail. "La légitimité ne repose pas sur des condamnations. Les véritables défis à la légitimité du TSL sont toujours ouverts : est-il judicieux de statuer dix-sept ans après l'événement ? Les vrais responsables ont-ils été poursuivis ? Le soupçon d'une implication syrienne, sur lequel la Chambre de première instance s'est exprimée brièvement mais avec des mots forts, est toujours sur la table et ne sera probablement jamais abordé", déclare-t-il aujourd’hui.
L'arrêt de la chambre d'appel n'ajoute en effet rien aux conclusions antérieures selon lesquelles des "mains organisatrices" avaient agi derrière l'attentat et que "la Syrie et le Hezbollah pourraient avoir eu des motifs d'éliminer M. Hariri". Le tribunal ferme sans conclusion définitive.