"Tout le monde est d'accord, y compris l'accusation et la cour, pour dire que son affaire a traîné depuis trop longtemps", a déclaré Dalton Opwonya, l'avocat principal de Thomas Kwoyelo, à Justice Info le 28 mars. "Il n'y a personne qui soit resté en détention provisoire pendant plus de treize ans comme Kwoyelo. C'est une longue période, et le procès ne fait que commencer".
La Division des crimes internationaux de la Haute Cour siégeant à Kampala "avait prévu d'organiser un procès ininterrompu de six mois, mais le gouvernement n'a ni l'argent ni le temps", a ajouté Opwonya, si bien qu'"il a été décidé que nous ferions deux semaines de procès tous les trois mois, soit huit semaines par an". La prochaine session de procès aura lieu début mai de cette année.
L'un des proches de Kwoyelo, qui lui a rendu visite récemment dans sa prison de haute sécurité et qui a préféré ne pas être nommé, a déclaré que l'ancien commandant rebelle se plaignait d'hypertension et de paralysie du côté droit, un état de santé que l'un de ses autres avocats, Caleb Alaka, a confirmé. "Il a de graves problèmes de santé, et il a dit à la cour qu'il devait être libéré sous caution pour pouvoir se faire soigner en dehors de la prison. Mais le tribunal insiste sur le fait qu'il recevra le traitement en prison", a déclaré Alaka à Justice Info.
"Il y a plus d'espoir maintenant qu'avant"
"La justice doit être vue pour être rendue et il n'y a pas d'autre alternative que celle-ci", a déclaré Alaka. Pour l'avocat principal de l'Etat dans le procès, William Byansi, "la bonne chose est que toutes les parties dans ce dossier se sont préparées et que maintenant le procès a repris". Il ajoute que "le public doit être conscient de sa complexité".
Selon le porte-parole du système judiciaire ougandais, Jameson Karemani, "le système judiciaire a fait de son mieux jusqu'à présent ; il a fourni les juges pour présider l'affaire ainsi que les ressources et la logistique pour faciliter le processus". "Il y a plus d'espoir maintenant qu'avant", a-t-il noté. Interrogé sur le coût du procès, Karemani nous a dirigé vers le greffier du tribunal, mais nos tentatives pour obtenir des données chiffrées n'avaient pas encore porté leurs fruits au moment de la rédaction de cet article.
Kwoyelo a été placé en détention en 2009. Il a été arrêté après avoir été blessé lors d'une bataille, un épisode qui a mis fin à sa participation pendant 16 ans à la rebellion de la LRA. En 2011, la Division des crimes internationaux de la Haute Cour l'a inculpé de 93 chefs d'accusation de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, notamment de viols, de meurtres et de recrutement d'enfants soldats.
Lors des audiences de mars dernier, Kwoyelo a fait remarquer à la cour que son collègue de la LRA Dominic Ongwen, qui s'est rendu aux autorités américaines en 2015 et qui a ensuite été transféré à la Cour pénale internationale de La Haye, connaît déjà son verdict, alors que lui (Kwoyelo) vient seulement d’entamer la phase de procès. La CPI a condamné Ongwen en mai 2021 à 25 ans de prison, ce dont il a fait appel.
"Si ce tribunal ne peut pas me donner un procès rapide, que l'on me transfère à la CPI, à La Haye", a-t-il déclaré récemment à la Division des crimes internationaux, selon son avocat Opwonya. Mais le tribunal a déclaré qu'il n'était compétent que pour lui rendre justice, ainsi qu'aux parties à l'affaire.
Selon ses avocats, Kwoyelo est également mécontent que le procès ait lieu dans la capitale Kampala, au lieu de Gulu dans le nord de l'Ouganda, où ses proches pourraient y assister. Mais "nous avons fait en sorte que ses proches, y compris ses deux épouses, assistent aux séances du tribunal et lui rendent visite en prison", a déclaré Opwonya.
"Pas sur la liste des priorités du gouvernement"
Martin Aliker, un chercheur et analyste chevronné travaillant sur des programmes de consolidation de la paix à Gulu, affirme que le cas de Kwoyelo ne figure pas sur la liste des priorités du gouvernement. "Le cas de Kwoyelo a été étouffé par d’autres dossiers. Les priorités du gouvernement sont de reconstruire le nord de l'Ouganda, et les questions qui affectent la vie ordinaire des gens, il n'y a pas d'urgence à rendre justice", a-t-il déclaré.
"Le gouvernement doit consacrer ses ressources aux besoins urgents de la population", a-t-il poursuivi. "La question de la LRA est en train de s'éteindre, mais cela rend la situation injuste pour Kwoyelo." Concernant la demande de Kwoyelo d'aller à La Haye pour être jugé, Aliker pense que "lorsque Kwoyelo demande à être emmené à la CPI, ce n'est pas que Kwoyelo croit en son innocence, mais qu'il croit que la CPI lui offrirait plus d’opportunités".
Après avoir mis l'accent sur la longueur de la procédure, une douzaine de témoins à charge ont été présentés lors des audiences de mars, sur les plus de 90 que l'État a listés pour témoigner. Alors que le procès se prolonge, les observateurs et les groupes de défense des droits humains s'intéressent au fond et aux problèmes soulevés par cette affaire.
Kwoyelo était un enfant au moment où il a été enlevé par la LRA de Joseph Kony, et a été enrôlé contre son gré dans le groupe rebelle. "Des questions se posent toujours quant à la raison pour laquelle, parmi tous les commandants de haut rang de la LRA, dont certains ont plus d'ancienneté que Kwoyelo, il serait le seul à être jugé et à ne pas bénéficier de l'amnistie alors qu'il en a fait la demande", déclare Moses Sserwanga, défenseur des droits humains. "Ne s'agirait-il pas d'un deux poids, deux mesures ?" Depuis 2000, date à laquelle la loi d'amnistie nationale a été mise en place, plus de 12 900 anciens combattants de la LRA ont été amnistiés. Aucun autre n'est jugé pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
Pas de programme de protection des témoins
Dans un rapport publié l'année dernière, Human Rights Watch s'est dite préoccupée par l'absence d'un programme de protection des témoins. Ceux-ci peuvent être exposés, leur sécurité compromise et certains traumatisés à vie, indique le rapport. L'organisation indique qu'il n'existe pas de système d'interprétation professionnel pouvant être utilisé pendant le procès, alors que certains dialectes locaux sont utilisés. Le tribunal s'appuyant sur diverses personnes, le personnel, les gardiens, il existe un risque d'avoir des interprétations différentes de ce que l'accusé et les témoins disent au tribunal, souligne le rapport.
Alors que Kwoyelo a attendu son procès pendant des années, les attentes du public concernant l'affaire se sont estompées, tout comme celles concernant la Division des crimes internationaux du pays. Cette institution a été créée en 2008 pour offrir un recours national alternatif pendant que la CPI lançait des enquêtes censées pouvoir établir les plus hautes responsabilités des deux côtés du conflit armé entre l'État ougandais et la LRA.
Les deux premières semaines de sessions quotidiennes de procès étant terminées, la prochaine session est attendue en mai.