Pour tout observateur averti, le verdict de "non-culpabilité" rendu le 29 avril par un tribunal finlandais dans le procès du Sierra-Léonais Gibril Massaquoi, ancien porte-parole du Front révolutionnaire uni (RUF), domicilié depuis longtemps en Finlande, a été une douche froide. En effet, le dossier de l'accusation s'était quasiment effondré dès les premières audiences du tribunal à Monrovia, au Liberia, de février à avril de l'année dernière. J'ai brièvement assisté à l'une de ces séances, qui s'est tenue dans un petit hôtel de la banlieue de Monrovia.
Une avocate finlandaise de Massaquoi m'avait appelé pour me demander si je pouvais valider l'affirmation de Massaquoi, qui lui avait dit que je pouvais confirmer qu'il ne pouvait pas avoir participé aux batailles chaotiques de Monrovia en 2003 - que la vanité grandiloquente du Liberia a présentées comme les Première, Deuxième et Troisième Guerres mondiales - puisque je l'avais rencontré plusieurs fois pendant cette même période dans la résidence sécurisée que le Tribunal spécial pour la Sierra Leone lui avait procurée en tant que témoin de premier plan. J'y avais bien rencontré Massaquoi lors de mes recherches pour un livre sur la guerre, mais mes interactions avec lui avaient été intermittentes. Quoi qu'il en soit, j'ai décidé, par curiosité, d'assister, même brièvement, à son procès à Monrovia. On aimerait pouvoir lire le verdict dans son intégralité mais il n'est rendu qu'en finnois, une langue à laquelle je n'ai pas accès, comme presque tous les Libériens et Sierra-Léonais.
On sentait une forme de pureté dans ce rendez-vous, quelque chose d'exalté et de noble : la Finlande avait accordé l'asile à Massaquoi et dépensait des centaines de milliers d'euros pour examiner les allégations portées contre lui par deux ONG
Témoignages improbables
Les Finlandais avaient transformé la salle de conférence de l'hôtel en salle d'audience composée de quatre juges, deux procureurs, un avocat de la défense, un enquêteur chevronné spécialisé dans les crimes de guerre, des interprètes et des fonctionnaires de l'administration judiciaire du tribunal de district de Pirkanmaa à Tampere, une petite ville du sud de la Finlande. Les cas de COVID-19 étant rares au Libéria, les 14 Finlandais présents au tribunal semblaient détendus et peu empressés. Quelques semaines avant, ils avaient visité des "scènes de crime" dans le comté du Lofa au Liberia. On sentait une forme de pureté dans ce rendez-vous, quelque chose d'exalté et de noble : la Finlande avait accordé l'asile à Massaquoi dans le cadre d'un programme renforcé de protection des témoins et dépensait maintenant des centaines de milliers d'euros pour examiner les odieuses allégations portées contre lui par deux ONG non finlandaises. Pour autant, ce bel effort a tourné court.
Les uns après les autres, les témoins de l'accusation ont livré des témoignages soigneusement chorégraphiés qui n'avaient aucune valeur probante : ils étaient en effet si improbables que quiconque connaissant un tant soit peu les événements les aurait rejetés d'emblée. Massaquoi lui-même était absent de la scène, resté dans sa prison en Finlande et regardant les audiences par liaison vidéo avec un de ses avocats. Presque tous les témoins étaient d'anciens combattants fidèles à Charles Taylor [ancien président du Libéria, NDLR], sur lesquels Massaquoi avait fourni des informations accablantes au Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Chacun d'entre eux a affirmé que Massaquoi avait joué un rôle de leader lors des batailles de Monrovia en 2003, qu'il avait été excessivement brutal et qu'il était connu sous le nom d'« Ange Gabriel ». En réalité, Massaquoi n'a jamais été surnommé Ange Gabriel, et il est hautement improbable qu'il ait pu quitter furtivement sa résidence protégée de Freetown, où il fournissait déjà des informations vitales sur Taylor et ses ex- camarades du RUF, pour se rendre au Liberia, diriger un groupe de combattants fidèles à Taylor, persécuter les ennemis de ce dernier et revenir discrètement dans sa résidence.
Un ancien combattant de Taylor s’est présenté en boitant à l’audience du 2 avril - le résultat, a-t-il dit, d'une balle reçue dans la jambe au niveau du pont de Lofa, à quelque 370 km de Monrovia, en 2003 sur les ordres de Massaquoi alias Ange Gabriel. Le témoin a déclaré avoir assisté à des massacres à Monrovia quelques semaines plus tard, en juin-juillet 2003, alors qu'il était certainement gravement blessé et même handicapé par l'attaque de Lofa. Le témoin n'a pas été contre-interrogé sur la raison pour laquelle Massaquoi, qui combattait supposément pour Taylor, aurait retourné ses armes contre lui, un combattant de Taylor. Il a seulement fait une remarque générale sur la brutalité des forces sierra-léonaises sous le commandement de Taylor. Il a déclaré avoir reconnu qu’Ange Gabriel n'était pas libérien, parce qu'il parlait avec un accent sierra-léonais. Comme lui, d'autres témoins ont déclaré qu'Ange Gabriel était si brutal que les hommes de main les plus fameux de Taylor, Benjamin Yeaten et Zigzag Marzah, ont dû intervenir pour le réfréner. C'était la première fois que l’on entendait quelqu'un suggérer que Yeaten et Marzah avaient exercé une influence modératrice : les comptes rendus de la Commission vérité et réconciliation du Liberia et du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, sans parler des recherches menées par les organisations de défense des droits humains et par les universitaires, ont tous présenté ces personnages comme des meurtriers enragés et des hommes de main sans pitié de Taylor.
Le verdict "non coupable" aura probablement l'effet inverse de celui escompté par les militants pro-justice : on peut craindre que de tels procès soient désormais considérés comme une perte de temps coûteuse et risquée.
Bonnes intentions gâchées par l'arrogance et l'ignorance
Il était clair que l'enquêteur finlandais, Thomas Elfgren, qui a monté ce dossier à lui tout seul - un dossier volumineux de plusieurs milliers de pages - n'avait consulté aucun expert au Liberia ou en Sierra Leone. J'ai bu une bière avec lui à l'hôtel en avril de cette année-là, et il ne semblait pas du tout convaincu que cela aurait pu être utile. Il faisait confiance aux informations qu'il avait recueillies, sans doute avec l'aide de ceux qui avaient initié l'affaire en justice, auprès d'anciens combattants, bien que les événements qu'ils décrivaient se soient produits près de vingt ans auparavant. Certains de ses informateurs étaient des enfants soldats, souvent drogués, à l'époque où les événements se sont produits.
Il y avait, je le sentais, quelque chose de mélancolique dans ce que cette cour provinciale finlandaise apportait avec elle en Afrique de l'Ouest. Le pathos des bonnes intentions gâchées par une combinaison doublement tragique d'arrogance et d'ignorance.
Les quelques Libériens que je connais qui ont milité pour la tenue du procès Massaquoi - des activistes de la justice transitionnelle - avaient espéré que ce procès donnerait un élan à leur propre quête de poursuites pénales des auteurs d’atrocités commises pendant les guerres civiles sanglantes du Liberia. Aucun mécanisme de justice rétributive n'a été jusqu’ici mis en place au Liberia, contrairement à ce qui s'est passé en Sierra Leone. Le verdict "non coupable" aura probablement l'effet inverse : on peut craindre que de tels procès soient désormais considérés comme une perte de temps coûteuse et risquée. En effet, les responsables libériens qui ont accepté que le tribunal siège à Monrovia ont veillé attentivement à ce qu'il n'y ait pas un tel effet collatéral. Le procureur général et ministre de la Justice, Frank Musah Dean, a probablement accepté la proposition des Finlandais uniquement parce que Massaquoi est sierra-léonais et non libérien. De plus, il a rejeté la demande des Finlandais et des militants pro-justice pour que les audiences soient diffusées en direct. Au lieu de cela, un grand écran vidéo a été installé dans une pièce adjacente à la salle d'audience de l'hôtel pour les Libériens intéressés. Mais comme le lieu de l'audience se trouvait à l'extérieur de Monrovia et qu’il était inconnu du grand public, la salle était souvent vide. Cela a effectivement limité l'impact potentiel du procès sur le débat au Libéria concernant des poursuites plus larges pour crimes de guerre.
Dans tout cela, il faut fermement résister à un effet collatéral potentiel : celui de considérer le verdict comme disculpant Massaquoi des crimes abjects qu'il a commis tant en Sierra Leone qu'au Liberia
Un geste de décence
Pour les victimes libériennes des atrocités massives commises pendant la guerre civile, la tentative coordonnée - comme il ressortait des témoignages d'anciens combattants au procès Massaquoi - d'atténuer la culpabilité des Libériens pour les crimes commis pendant la guerre en rejetant la responsabilité des atrocités sur les quelques Sierra-Léonais qui ont pris part à cette guerre, a dû être traumatisante. Le fait de penser que cela a peut-être été fait dans le but de saper les appels à des procès pour crimes de guerre au Liberia - et peut-être aussi pour punir Massaquoi d'avoir témoigné contre Taylor - ne fait qu'aggraver le mal que ce procès malavisé a pu causer.
Dans tout cela, il faut fermement résister à un effet collatéral potentiel : celui de considérer le verdict comme disculpant Massaquoi des crimes abjects qu'il a commis tant en Sierra Leone qu'au Liberia avant que les crimes présumés dont il était accusé ne soient commis.
Au cours de mes échanges avec lui avant sa relocalisation en Finlande, Massaquoi m'a envoyé par courriel une ébauche très grossière d'un manuscrit qu'il prétendait être son compte rendu personnel des guerres rebelles dans lesquelles il a joué un rôle de premier plan. Ce manuscrit n'était pas publiable. Plus tard, après son transfert, il m'a envoyé un courriel disant qu'il écrivait depuis un "pays scandinave" et que son manuscrit avait trouvé un éditeur. J'ai demandé une copie, mais il n'a jamais répondu. J'ai cherché mais je n'ai pas trouvé le livre à la vente. En parcourant la volumineuse pile de preuves réunies par les procureurs finlandais, j'ai enfin pu trouver ce livre, qui compte environ 370 pages. Il est mal écrit et trompeur à bien des égards, des faits importants étant omis, mais il est tout de même éclairant. Massaquoi y décrit de nombreuses atrocités commises par le RUF, notamment d'innombrables viols et des récits terribles sur la vie des "épouses de brousse" - il semble que tous les chefs rebelles étaient, selon sa formulation malheureuse, des "coureurs de jupons". Il y décrit aussi des meurtres 'récréatifs', de vengeance ou inutiles. Dans son récit, il n'a lui-même pris part à aucun de ces actes, bien sûr.
Je crois savoir qu'en raison du verdict de non-culpabilité, la Finlande est légalement tenue d'indemniser Massaquoi pour ses deux années de détention. Cela pourrait s'élever à des centaines de milliers d'euros. On peut espérer qu'il a acquis un peu de décence pendant toutes ces années de résidence en Finlande, y compris après son arrestation et sa détention, pendant lesquelles il a été traité avec une générosité et une civilité extraordinaires. Il devrait le démontrer en faisant don de cette compensation financière à ses nombreuses victimes en Sierra Leone et au Liberia. Quelqu'un, peut-être sa vaillante équipe de défense juridique, devrait lui souffler cela à l'oreille.
DR LANSANA GBERIE
Le Dr Lansana Gberie est un historien et ancien journaliste sierra-léonais, auteur de A Dirty War in West Africa : the RUF and the Destruction of Sierra Leone, Hurst, Londres, 2005. Il est l'actuel ambassadeur de la Sierra Leone en Suisse et auprès des Nations unies à Genève. Il écrit ici en son nom propre.