Argentine: la justice reconnaît l'Etat "responsable" d'un massacre d'indigènes il y un siècle

Ni témoins, ni survivants, ni accusés, mais un "procès de la vérité" pour réparer et pour l'histoire: la justice argentine a formellement reconnu jeudi la "responsabilité" de l'Etat dans le massacre de plus de 400 indigènes en 1924 dans une réserve du Chaco (nord), lors d'une procédure inédite dans le pays.

Cette procédure, lancée en 2004 à travers des recherches et le recueil de souvenirs oraux, le "procès de Napalpi", a aussi permis aux descendants de retrouver les langues de leurs ancêtres --le qom, le mocoit-- elles-aussi victimes collatérales, car sciemment tues "pour survivre".

Le tribunal de Resistencia, au terme de six audiences étalées sur un mois, et dans un verdict symboliquement lu jeudi en espagnol et en langues qom et mocoit, a considéré qu'était "prouvée la responsabilité de l'Etat" dans "des crimes contre l'humanité" dans le cadre d'un "génocide indigène".

Il a établi que "le matin du samedi 19 juillet 1924, une centaine de policiers, gendarmes et quelques civils armés, appuyés par un avion, sont arrivés dans la zone de la réserve où un millier de personnes, des familles Qom et Mocoit, et des ouvriers agricoles menaient une grève", pour protester contre leur conditions de quasi-esclavage dans les champs de coton.

Cet équipage en armes a ouvert le feu pendant plus d'une heure et "entre 400 et 500 membres des groupes ethniques Qom et Mocoit sont morts (...), les blessés qui n'ont pu s'échapper ont été tués de la manière la plus cruelle possible", avec des mutilations, des enterrements dans des fosses communes.

Pour ce qui est connu comme "le massacre de Napalpi", dont la mémoire a réémergé depuis une quinzaine d'années, la juge Zunilda Niremperger présidant le tribunal a ordonné des "mesures de réparation historique".

Parmi celles-ci, la publication du verdict au Journal officiel, l'inclusion du massacre dans les programmes scolaires, la diffusion du procès à la télévision publique, la poursuite des recherches médico-légales pour exhumer et remettre des restes des victimes. Un mémorial a déjà été érigé en 2020.

Le thème d'une réparation économique n'a été ni un enjeu ni une demande formulée lors des débats, même si le jugement en théorie pourrait ouvrir la voie à des démarches au civil.

- "Les grand-mères se sont mises à parler" -

Sans "accusé" pour répondre du crime, le procès de Napalpi, à large valeur symbolique, est néanmoins une première en Argentine, et le marqueur d'une visibilité accrue des exactions contre les peuples indigènes lors de la construction de l'Argentine comme nation, tout au long du 19e siècle et au-delà.

La province du Chaco (qui n'existait pas à l'époque des faits), le secrétariat des Droits humains (gouvernemental) et l'Institut de l'Aborigène chaqueño étaient co-plaignants dans la procédure.

La juge Niremperger avait prévenu d'emblée que le procès "ne recherchait pas une responsabilité pénale, mais à connaître la vérité, afin de réhabiliter la mémoire des peuples, panser les blessures, réparer et aussi activer la mémoire et la conscience de ces violations des droits humains".

Raquel Esquivel, une enseignante de 33 ans d'origine Qom, et dont les recherches menées depuis des années ont été présentées au procès, a raconté à l'AFP la patiente quête qui a permis de dénicher de rares survivants et recueillir leurs mots.

Comme Melitona Enrique, décédée en 2008, et qui s'exprimait en qom, sa seule langue. Ou Rosa Grilo, qui aurait entre 110 et 114 ans, et dont le procès a pu visionner le témoignage vidéo, filmé en 2018.

"C'est une reconstruction de l'histoire avec un travail de terrain, avec les souvenirs oraux de nos grands-parents, des survivants, de leurs proches. Beaucoup ont été encouragés à parler lorsque l'équipe médico-légale a commencé ses fouilles à Napalpi", a raconté Mme Esquivel.

"D'autres grand-mères se sont mises à parler. Mais c'était très douloureux, on sentait la peur en elles (...) Nous avons appris à parler espagnol et non notre langue, car ceux qui parlaient qom étaient persécutés et discriminés. Et (notre communauté) a appelé au silence pour survivre", résume-t-elle.

"On a commencé à sortir du silence. Et les plus anciens animent aujourd'hui des ateliers dans nos communautés, pour apprendre (notre histoire) aux enfants".

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