Ce droit aux visites de la famille de détenus est reconnu comme un droit fondamental, mais son application et surtout son financement posent problème.
Aujourd'hui, seule la Cour spéciale pour la Sierra Leone prend en charge certaines visites des familles des détenus indigents se trouvant à Freetown. En effet, tant le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) que le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) refusent de financer même partiellement les visites des familles des détenus considérés comme indigents.
Dans de nombreux pays aujourd'hui, ce droit est considéré comme fondamental. Il est d'ailleurs consacré par la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH) ainsi que par la jurisprudence de la Cour européenne.
La Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), qui a été conviée fin mai par le Greffier de la Cour pénale internationale (CPI) à adresser ses remarques sur cette question, a fait observer que ce droit a comme corollaire « la reconnaissance de droits aux membres de sa famille, en particulier l'enfant ». Il vise ainsi à maintenir les liens familiaux et favorise une future réinsertion du condamné.
La question est également importante sous l'angle du principe fondamental de la présomption d'innocence. En effet, les détenus en détention préventive qui sont soit suspects soit accusés attendent toujours leur jugement et la Cour pénale internationale a, du point de vue de la FIDH, « l'obligation de maintenir la personne dans une situation similaire à l'état de liberté, dans la mesure du possible, les visites des familles y contribuant ».
Le principe n'étant pas remis en question, c'est le financement obligatoire par la Cour des visites des familles d'indigents qui semble problématique. La Cour se dit particulièrement préoccupée par cette question parce qu'en raison de sa vocation de justice universelle, elle sera amenée à poursuivre des individus originaires de pays éloignés.
Tandis que certains Etats parties à la CPI, à l'occasion de la sixième session plénière, voulaient « favoriser la prise en charge de ces visites par la Cour lorsque le suspect ou l'accusé est indigent se basant sur des critères humanitaires », d'autres ont émis « des craintes relatives à la création d'un précédent et au manque de précision sur l'étendue et les critères de cette prise en charge ».
La FIDH recommande au Greffe de prendre en compte de manière précise et exhaustive les inquiétudes des Etats pour : répondre à la crainte des Etats relative à la possible création d'un précédent (y compris du point de vue des droits de l'Homme) ; évaluer les autres options de financement proposées par les Etats et aborder la notion d'« indigence » considérant si la notion applicable à l'aide judiciaire devrait également être utilisée dans le contexte des visites des familles.
L'absence de précédents en la matière conforte les réticences. Les Tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda prévoient la prise en charge d'une partie des frais de communication des détenus indigents avec leur famille mais ne vise pas le droit de visite.
Ce refus de financement a engendré « une pratique troublante » au TPIR a raconté Mandiaye Niang, conseiller spécial du greffier : certains accusés ont fait citer leur proche comme témoin dans la procédure dans le seul but de les voir, le voyage étant financé dans ce cas par le Tribunal. Cette pratique « pose un problème d'une bonne administration de la justice et de conflit d'intérêts certains » a fait remarquer la FIDH.
Au TPIY, ce sont des gouvernements de l'ex-Yougoslavie et des associations solidaires de leurs « héros de guerre », tels que parfois considérés, qui payent au Tribunal les frais inhérents aux visites des familles.
Dans le cadre des visites des familles, le TPIR autorise depuis le mois de mai le droit aux visites conjugales. Le TPIY met en œuvre ce droit depuis déjà de nombreuses années. Il semble que ces visites soient à charges des familles.
Au centre de détention des Nations Unies d'Arusha, chaque détenu a maintenant droit à trois heures de visites avec son conjoint ou conjointe tous les deux mois, sauf si le conjoint vient d'un pays hors de la Tanzanie et des pays voisins. Le conjoint peut alors reitérer une fois sa visite dans un délai plus proche.
Interrogé par la presse aprés cette décision, le directeur du centre de détention du TPIR à Arusha, Monsieur Saydou Guindo a expliqué fin juin que « rien n'interdit au niveau international les visites conjugales ». Il a rappellé que « pour les condamnés, c'est le détenu qui est frappé de sanction et non son épouse. Pour les détenus dont le procès est en cours, il y a toujours la présomption d'innocence ».
Dans ses « propositions pour protéger et améliorer le maintien des liens familiaux, amicaux, sociaux » de janvier 2006, Georgia Bechlivanou-Moreau, juriste spécialisée en droit pénitentiaire et Droits de l'Homme, affirme que « l'intimité est indiscutablement un facteur indispensable pour que les visites [en prison] soient de vrais moments de vie privée, familiale et amicale où l'on peut s'exprimer librement, se confier, se toucher. Mais elle est aussi nécessaire pour assurer un autre aspect de la vie privée et familiale garantie par l'article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, l'intimité sexuelle » elle-même indispensable au « droit de fonder une famille » selon l'article 12 du même texte.
Déjà en 1998, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a recommandé aux Etats membres d' « envisager de donner aux personnes incarcérées la possibilité de rencontrer leur partenaire sexuel sans surveillance visuelle pendant la visite » (Recommandation R(98)7, relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, règle n°68).
Le responsable de la justice rwandaise, M. Martin Ngoga, Procureur général, a réagi avec colère à l'annonce du TPIR d'autoriser ces visites. Il trouve cette décision « ridicule ». Cette pratique n'existe pas au Rwanda. Ce pays craint que la décision du TPIR ne constitue une nouvelle raison de ne pas autoriser les transferts de détenus et de prisonniers vers son territoire.
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