« Le procureur est censé connaître sa thèse avant d'aller au procès et ne peut pas modeler les charges contre l'accusé en cours de procès, au gré des révélations de la preuve », indique le jugement rendu vendredi par la chambre d'appel dans le procès du lieutenant- colonel Tharcisse Muvunyi.
Les juges d'appel ont annulé la peine de 25 ans de prison imposée en première instance et ordonné que l'officier soit rejugé uniquement pour « incitation à commettre le génocide », sur la base d' un discours prononcé pendant le génocide, à Gikore, une localité de la préfecture de Butare (sud).
La chambre d'appel a annulé les condamnations pour génocide et autres actes inhumains, antérieurement infligées à l'appelant pour des crimes perpétrés par des soldats de l'Ecole des sous- officiers (ESO) de Butare dont il assurait le commandement pendant le génocide, selon le procureur. Muvunyi a toujours affirmé qu'il n''avait jamais dirigé, ni en fait ni en droit, cette école militaire.
« Les vices dans un acte d'accusation peuvent apparaître durant la procédure, lorsque les éléments de preuve diffèrent de ce qui était attendu ; cela appelle la chambre de première instance à voir si l'équité de la procédure exige un amendement de l'acte d'accusation, un ajournement des procédures, ou l'exclusion de preuves en dehors de la portée de l'accusation », affirme le résumé de l'arrêt lu en anglais par le juge Fausto Pocar, président de la Cour d'appel.
Les juges du second degré ont admis que les vices de l'acte d'accusation peuvent, dans certaines circonstances, être purgés par la voie du mémoire préalable au procès. Mais, à l'unanimité, ils ont affirmé que dans cette affaire, le mémoire préalable du procureur et les résumés des témoignages escomptés avaient plutôt allongé la gamme des charges, entraînant, de la sorte, « un amendement de facto de l'acte d'accusation ».
L'un des exemples les plus parlants est celui de l'attaque menée par des soldats sur des Tutsis qui s'étaient cachés dans la forêt de Mukura. « La chambre d'appel est d'avis que Muvunyi ne pouvait pas savoir, sur la seule base de l'acte d'accusation, qu'il devait répondre de cette attaque puisqu'elle n'était pas mentionnée dans l'acte d'accusation », indique l'arrêt. « Si le procureur avait l'intention d'établir la responsabilité de Muvunyi concernant l'attaque dans la forêt de Mukura, le moment et les détails sur son rôle auraient dû être plaidés dans l'acte d'accusation », estiment les juges d'appel.
Lorsque ce ne sont pas des vices épinglés dans l'acte d'accusation, ce sont des erreurs de fait commises par les premiers juges, concernant, notamment, les crimes de soldats de l'ESO à différents barrages routiers. « Même en acceptant l'argument du procureur selon lequel l'acte d'accusation, lu comme un tout, lie Muvunyi et les soldats du Camp ESO aux événements qui se sont déroulés aux barrages routiers, un problème fondamental persiste dans l'acte d'accusation », souligne le jugement. Le procureur, note-t-il, « n'allègue pas que les soldats de l'ESO aient été impliqués dans des tueries aux barrages routiers... Il parle seulement de coups ».
L'arrêt insiste par ailleurs sur la nécessité de s'assurer que les témoignages par ouïe-dire sont corroborés par d'autres éléments de preuve. En tant que tels, ils ne suffisent pas, disent ils.
Enfin, en ordonnant un nouveau procès portant un seul fait, la chambre d'appel s'adresse cette fois-ci, exclusivement aux chambres de première instance, sans inclure le bureau du procureur.
Les seconds juges reprochent à leurs collègues du premier degré de n'avoir pas, à propos du discours de Gikore, présenté le raisonnement qui a abouti à leur déclaration de culpabilité.
« La chambre de première instance a la discrétion d'évaluer les inconsistances des dépositions de témoins... Cependant, elle a aussi l'obligation de fournir une opinion motivée » lorsqu'elle rejette des témoignages, déclarent haut et fort, les juges d'appel.
Sur ce discours prononcé au centre de négoce de Gikore, le procureur avait cité en première instance deux témoins, surnommés YAI et CCP, tandis que la défense en avait présenté un seul, MO 78 dont les juges n'ont même pas tenu compte, préférant s'accomoder des contradictions des deux premiers. « La chambre de première instance semble avoir trouvé le témoin MO 78 non crédible pour la seule raison que sa déposition diffère des témoignages de YAI et CCP », regrettent les juges d'appel.
Après avoir considéré les droits de l'accusé, en prison depuis plus de 8 ans, la gravité du crime allégué et l'intérêt de la justice, la chambre d'appel a décidé de donner au « juge du fait, l'opportunité d'évaluer pleinement l'entièreté des éléments de preuve et de donner une opinion motivée», dans le cadre d'une nouveau procès.
Tharcisse Muvunyi avait été jugé entre le 28 février 2005 et le 12 septembre 2006, par une chambre présidée par le juge Asoka de Silva (Sri Lanka) assisté de la juge Flavia Latanzi (Italie) et Rita Arrey (Cameroun). L'accusation était représentée par M. Charles Adeogun Philips (Nigeria). L'officier était défendu par l'avocat américain William Taylor assisté de sa compatriote Mme Abbe Jolles.
SC/ER/PB/GF
© Agence Hirondelle