La Division des crimes internationaux (ICD) n'a pas réussi à achever un seul dossier de crime de guerre depuis sa création, en juillet 2008. À ce jour, deux affaires sont en cours devant l’ICD. L'un d'eux, le cas de l'ancien rebelle de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA) Thomas Kwoyelo, traîne depuis plus de 10 ans depuis son arrestation. Sa réouverture est annoncée ce 9 mars.
Officiellement, Kwoyelo a été capturé le 3 mars 2009 par l'armée ougandaise, lors d'une bataille en République démocratique du Congo (RDC). Après de multiples débats juridiques, notamment une demande d'amnistie, un défi constitutionnel, des modifications des chefs d'accusation et des recours devant les plus hautes juridictions contestant le procès, l'ICD a finalement confirmé 93 chefs d'accusation contre Kwoyelo, le 30 août 2018. Ces charges comprenaient des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. L'accusation allégue qu'entre 1993 et 2005, dans le district d'Amuru, dans le nord de l'Ouganda, Kwoyelo, en tant que commandant de la LRA, a mené des attaques pour tuer et enlever des civils qui ne participaient pas activement aux hostilités.
Après un certain nombre de faux départs, l'affaire s'est ouverte le 12 mars 2019, dans la capitale régionale du nord de l'Ouganda, Gulu, épicentre du conflit armé avec la LRA. A la tête du parquet, Florence Akello a annoncé, dans sa déclaration liminaire, qu'elle allait faire venir "environ 130 témoins, 360 pièces à conviction, des photos, des documents médicaux, des vidéos, des extraits de journaux et d'autres formes de preuves pour étayer les accusations" contre l’accusé. Ce à quoi l'avocat principal de la défense, Caleb Alaka, a rétorqué : "Devant vous se trouve une victime, qui a été enlevée alors qu'il se rendait à l'école. Le gouvernement ne l'a pas protégé. L'accusation veut lui faire porter tous les crimes de la LRA sur ses petites épaules. Nous allons démontrer que l'accusé n'occupait pas un poste de commandement."
Jusqu'à présent, selon la porte-parole adjointe de la direction nationale des poursuites publiques, Irene Kimbugwe, 13 témoins de l'accusation "ont témoigné malgré des défis sur le plan de la protection des témoins. Certains témoins ont dû témoigner à huis clos par crainte des réactions de la communauté".
Une institution créée à la hâte et chaotique
"La Division des crimes internationaux a été créée à la hâte, c'est pourquoi il y a eu des accrocs en route et jusqu'à présent", observe Davis Bikaaku, avocat des droits de l'homme basé à Kampala. "L'Ouganda subissait des pressions locales pour rendre justice aux victimes de la guerre à un moment où la rhétorique du gouvernement contre la Cour pénale internationale (CPI) était négative. Il voulait donc créer un lieu de justice parallèle à la CPI", explique-t-il. Nicholas Opiyo, éminent avocat et ancien avocat de la défense de Kwoyelo estime, de son côté, que la division aurait dû faire mieux, si le gouvernement ougandais avait élaboré les règlements nécessaires régissant un tribunal de cette nature. "Le pays avait besoin de développer des règles dans le cadre de ce nouveau système, qui tiennent compte des avocats, de la participation des victimes et de la protection des témoins", dit-il. "Le cas [de Kwoyelo] a commencé avec un règlement provisoire. Ils [le gouvernement] agissaient à l’aveugle", poursuit-il. "Le deuxième problème est que la Cour n'a jamais eu de chambre cohérente. La première formation avait trois juges, mais ils ont été transférés. Chaque fois qu'il y a un nouveau panel, ils doivent tout recommencer à zéro lorsqu'ils prennent en charge l’affaire", ajoute Opiyo.
Affaires en cours ou potentielles
L'autre dossier de crimes internationaux dont est saisi l’ICD concerne Jamil Mukulu, un ancien commandant du groupe militant islamiste ougandais des Forces démocratiques alliées (ADF), une milice active qui opère à partir de la RDC. Mukulu, principal fondateur de l'ADF, a été arrêté en Tanzanie en 2015 et remis aux autorités ougandaises. Les charges portées contre lui et ses 37 co-accusés ont été confirmées en septembre 2019. L'acte d'accusation allègue, entre autres, que Mukulu a donné l'ordre à ses acolytes de commettre des meurtres dans différentes régions de l'Ouganda, entre 2002 et 2015.
Comme dans l'affaire Kwoyelo, le manque de fonds est invoqué pour justifier la lenteur de la procédure. "Nous sommes passés par la phase préliminaire, les charges ont été confirmées, nous sommes censés aller en audience, mais cela dépend de la disponibilité des fonds compte tenu de l'ampleur du dossier", affirme l'avocat de Mukulu, Evans Ochieng. "C'est au tribunal de nous donner la date et nous attendons", ajoute-t-il.
Un autre candidat potentiel est George Okot Odek, ancien commandant de la LRA capturé en février 2016 par les rebelles de la Seleka, en République centrafricaine (RCA), et remis aux forces spéciales américaines qui font la traque de la LRA en RCA, aux côtés de troupes ougandaises. Odek, qui aurait été lieutenant-colonel de la LRA et l'un des plus fidèles collaborateurs du chef de la LRA Joseph Kony - inculpé par la CPI et toujours en fuite - est depuis lors dans une prison militaire en Ouganda. "Le bureau du procureur n'a pas de dossier concernant George Okot Odek", assure Irene Kimbugwe lorsqu'on lui demande si le commandant capturé est attendu devant le tribunal.
Autres priorités
Selon des sources judiciaires, le travail de l’ICD, et en particulier l'affaire Kwoyelo, est financé par un programme appelé Justice Law and Order Sector, financé par l'Union européenne et, dans une modeste mesure, par le gouvernement ougandais. Rien que l'année dernière, l'Union européenne a déboursé environ 600 millions de shillings ougandais (environ 150 000 euros).
En fait, la Division spéciale a servi à d'autres fins que celles pour lesquelles elle avait été créée. Selon Irene Kimbugwe, elle a jusqu'à présent traité d’environ 50 affaires depuis sa création, principalement des dossiers de personnes poursuivies pour trafic d'êtres humains et terrorisme.
"Il y a un problème structurel dans le système judiciaire, où l’ICD n'a pas voix au chapitre", estime Opiyo. "Je ne crois pas que le pouvoir judiciaire a mis l'affaire Kwoyelo soit sur la liste des priorités. Il n’existe aucune indemnité pour les juges, le procureur, les avocats, et la sécurité".